La campagne pour les élections présidentielles bat son plein, les bateleurs politiques vendent et vantent leur programme à l’instar de commerciaux aguerris, avec plus ou moins de succès. Pourtant, depuis des décennies, invariablement, inlassablement et obstinément, on nous ressert la même tambouille avec les mêmes ingrédients, en modifiant juste le mode de cuisson et en variant les épices. En tout cas, ils se rejoignent presque tous sur au moins un point : à ce jour, personne n’a abordé, du moins frontalement, le thème si controversé et polémique de la vie affective, intime, érotique et/ou sexuelle des citoyennes et des citoyens en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Parce qu’il est bien trop délicat à accommoder pour des palais à la pudibonderie a minima dogmatique ?

Cependant, je commence à déceler un frémissement intéressant en provenance du milieu politique. En effet, le Conseil Départemental du Bas-Rhin vient d’organiser dans ses locaux le 14 février dernier, à l’initiative de son président, Frédéric Bierry, le premier débat tout public consacré à ce sujet « à risque » par un Département; c’est au cours d’une discussion avec cet homme politique local, encarté chez Les Républicains, que le projet a germé début 2016 et qu’il l’a mené à son terme, comme promis. « Amour, intimité, sexualité et handicap : des mots pour le vivre ! » aura attiré près de 200 spectateurs, dont un petit groupe d’opposantes farouches à toute forme de prostitution, émanant de l’association Osez le féminisme ! À l’issue de cette soirée, d’autres pistes et projets ont été lancés par Frédéric Bierry, montrant qu’une dynamique est peut-être en marche.

Désormais, quel autre Conseil Départemental va avoir le courage d’en faire autant ? Quelles autres collectivités ou administrations seraient prêtes à se saisir du sujet ? Car, comme je ne cesse de le répéter, il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’accompagnement sexuel (pas plus que d’être pour ou contre l’Interruption Volontaire de Grossesse, la Procréation Médicalement Assistée, le mariage pour tous ou le suicide assisté) mais d’admettre la réalité et la légitimité de demandes et de choix spécifiques, donc l’importance de respecter le libre choix et la liberté individuelle de tout un chacun, si nous vivons effectivement dans une démocratie où les différences de convictions (religieuses, morales, philosophiques, politiques) cohabitent intelligemment. Pas plus qu’il ne s’agit de prétendre détenir la vérité, mais une vérité qui a le droit d’être entendue et reconnue, qu’elle soit minoritaire ou majoritaire. Encore faudrait-il cesser de confondre ce qui relève de la loi et ce qui relève de la morale.

Par ailleurs, en l’espace de deux jours, l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS) a été contactée par la responsable du pôle « handicap, culture et jeunesse » du Parti de Gauche, Marie-Laure Darrigade, et par Laurine Roux, candidate aux législatives pour le Parti Radical de Gauche, afin de nous rencontrer. Certes, tout cela n’augure guère d’un engagement de la part de ces personnes en faveur d’une reconnaissance de l’accompagnement à la vie affective et sexuelle des citoyens et citoyennes en situation de handicap, mais c’est un signal encourageant envoyé par des personnalités politiques de droite et de gauche. Et c’est d’autant plus encourageant qu’au moins un postulant à la Présidence de la République, Jean-Luc Mélenchon, semble (indirectement) prêter une certaine oreille à cette cause.

En attendant, l’APPAS, créée en septembre 2013, continue son petit bonhomme de chemin dans une illégalité toujours aussi transparente et tranquille. Quelques chiffres sont significatifs : en deux ans, elle a enregistré près de 600 demandes d’accompagnement sexuel et formé quelque 45 candidat(e)s à ce type d’accompagnement, dont environ 25 le pratiquent plus ou moins régulièrement ou vont être en capacité de le faire dès ce printemps. Ces demandes ont doublé en un an et les postulant(e)s à la formation ne désemplissent pas, ce qui est stimulant car à ce jour, seulement 25% de mises en relation ont pu se concrétiser en raison d’une insuffisance d’accompagnant(e)s et de leur dissémination inégale sur tout le Territoire; ainsi, tout l’ouest de la France n’est pas ou mal desservi actuellement, alors que le nord-est, le sud-est et la région parisienne sont relativement privilégiés.

Et puis, si éthiquement c’est une bonne chose qu’il y ait une quasi parité entre accompagnants des deux sexes, dans les faits, peu d’hommes sont sollicités pour pratiquer des accompagnements sexuels, les demandes formulées par des femmes « handicapées », des personnes transgenres ou homosexuelles n’étant pas pléthoriques. En effet, plus de 90 % des demandes sont toujours l’apanage d’hommes en situation de handicap ou de perte d’autonomie, entre 18 et 97 ans; le nombre de demandes féminines augmente toutefois progressivement depuis quelques mois. Il me paraît également nécessaire de rappeler que, contrairement aux idées reçues, 40% des demandes concernent des contacts de corps à corps, de chair à chair, des caresses, des massages, de la sensualité, la possibilité de se projeter et de « se normaliser » par le biais de l’altérité et de se reconnecter à sa corporéité; seuls 60 % relèvent à proprement parler de la génitalité.

Pour toutes ces raisons, plus que jamais, l’APPAS a la volonté de maintenir son cap. Néanmoins, pour ce faire, elle ne peut s’exonérer de soutiens politiques si elle veut obtenir un jour une exception à la loi sur le proxénétisme, qui ouvrirait la porte à une acceptation sans ambiguïté de l’accompagnement sexuel dans l’Hexagone, passage indispensable si l’association veut bénéficier d’une reconnaissance qui lui permettrait d’être entendue et soutenue plus aisément par des financeurs potentiels. Sans quoi, par manque de moyens, elle ne pourra jamais répondre aux nombreuses attentes et espoirs qu’elle nourrit depuis sa création.


Marcel Nuss, fondateur et président de l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS), mars 2017.

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