« Je propose [que] pour les établissements recevant du public, les maîtres d’ouvrage publics et privés puissent s’engager dans la définition d’Agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) […] Leur durée de mise en oeuvre pourrait s’inscrire dans une fourchette de l’ordre de 3 ou 4 ans, pouvant être reconduits 2 ou 3 ans […] il me paraîtrait possible de donner à ces Agendas une valeur législative […] S’agissant des transports, les Schémas directeurs d’accessibilité (SDA) pourraient faire l’objet d’un processus de même nature. »

Ce que propose la sénatrice Claire-Lise Campion est très clair : reporter les deux échéances légales d’accessibilité à tout pour tous, actuellement fixées au 1er janvier 2015 pour le cadre bâti et au 13 février 2015 pour les transports. Ces Ad’AP devant être adoptés avant le 31 décembre 2014, le nouveau délai reporterait jusqu’à 2022 la mise en accessibilité de ce qui reste à l’être, mais avec des normes allégées : « Je propose également d’ajuster le dispositif normatif dans un cadre concerté, écrit la sénatrice. L’idée est de conserver un socle réglementaire fort mais de reprendre les normes parfois trop strictes ou ayant des incidences budgétaires trop fortes alors que l’objectif de mise en accessibilité peut être atteint par d’autres moyens. » Alors que la proposition de loi du sénateur UMP Eric Doligé, qui contenait ce dispositif, vient d’être vidée de son contenu par les parlementaires qui l’examinent actuellement, la sénatrice Claire-Lise Campion veut rouvrir le débat.

Le reste des propositions n’est qu’habillage censé mobiliser les acteurs et les mettre en ordre de marche, dans un dispositif aux allures d’usine à gaz bien dans l’air du temps : table ronde nationale, États régionaux de l’accessibilité, grande cause nationale en 2014, plan de formation des acteurs, aides du Fonds d’intervention pour les services, artisanat et les commerces (FISAC, dont les crédits ont été divisés par 2 en 3 ans pour s’élever à 32 millions d’euros en 2013), prêts bonifiés ou garantie d’emprunt, exonération de droits de succession lors de la transmission d’hôtels ou restaurants… Ce rapport est également le compendium d’une multitude de mesures d’allègement que l’Administration centrale et les organisations professionnelles du bâtiment et du tourisme voudraient faire passer rapidement dans la réglementation.

Côté pilotage, la rapporteure rejette la transformation de l’inutile pondeur de rapports qu’est l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle (OBIACU) en Agence de l’accessibilité. Mais « des fonctions nouvelles comme l’évaluation des progrès et des obstacles de l’accessibilité, une fonction de recherche et d’innovation, l’élaboration de propositions de formations, le suivi des coûts et des technologies liées à l’accessibilité pourraient lui être confiés, ce qui suppose de le renforcer. » Comment ? En établissant « une synergie » avec un autre machin inutile (et en guerre intestine), l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (ONFRIH). La Délégation Ministérielle à l’Accessibilité chapeauterait le tout, « investie officiellement des missions qu’elle assure de fait et pour lesquelles elle est reconnue ». Très présente auprès de la sénatrice Claire-Lise Campion pour la rédaction de son rapport, l’actuelle Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité, Marie-Prost Coletta a su ne pas s’oublier au passage. Mais il n’est pas question de mobiliser l’Administration et les préfets pour stimuler et contrôler les chantiers lancés ou pas par les collectivités territoriales et les exploitants privés.

Ce rapport ne restera probablement pas lettre morte : on y trouve trop de propositions que les groupes de pression de tous bords veulent traduire en actes. Il va être examiné par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) pendant que les ministères concernés plancheront sur sa traduction en loi et règlements, à charge pour le Comité Interministériel du Handicap de mai ou juin prochain d’arbitrer définitivement.

Ce rapport va toutefois obliger le Gouvernement à rédiger un projet de loi pour reporter les échéances, au risque d’un désastre politique : après tout, il ne fait que subir l’inaction du Gouvernement précédent dont les membres se sont tant agités pour réduire le champ d’application de l’accessibilité en multipliant les possibilités de dérogations. Mais c’est le Gouvernement actuel qui va accorder « la prime à la crapule » récompensant tous ceux qui ont décidé de ne rien faire dans l’espoir que la loi changerait : ils auront eu raison une première fois, et gageons qu’ils tenteront le coup une seconde.

Ce Gouvernement portera la responsabilité du maintien des escaliers obstacles, des portes inouvrables, des informations inaudibles ou invisibles, du stress discriminant que les personnes handicapées continueront à subir encore longtemps. Malgré son verbiage, le rapport Campion inscrit la démarche de l’accessibilité dans un ensemble sorti du cadre social, maintenant de facto les personnes handicapées dans une catégorie de population de seconde zone, celles que l’on ne veut toujours pas voir.

Laurent Lejard, mars 2013.


Suivez ce lien pour télécharger le rapport Campion.

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