Le Gouvernement vient d’adresser aux associations membres du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) un nouveau projet de décret réformant les conditions d’attribution de l’Allocation aux Adultes Handicapés. Il donne à l’État la majorité des voix décisionnaires au sein des Commissions des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée lorsqu’elles examinent une demande d’AAH : c’est donc le payeur qui décidera de s’accorder le droit de payer, un moyen pour l’État de restreindre considérablement le nombre de décisions favorables et de réduire la charge financière de cette AAH que le Président de la République a voulu augmenter de 25% durant son quinquennat.

Aujourd’hui, son gouvernement envisage de reprendre ce qu’il a accordé : on ne peut comprendre autrement cette volonté de s’ériger en décideur-payeur. Cette volonté doit être mise en rapport avec la précédente réforme de l’AAH, comportant l’obligation d’évaluer l’employabilité des demandeurs et la révision chaque trimestre du montant de l’allocation pour les 90.000 allocataires qui travaillent en entreprises ordinaires. D’un côté, on pousse les bénéficiaires à travailler, de l’autre on leur inflige une formalité contraignante lorsqu’ils ont un emploi, les allocataires qui travaillent sont punis au lieu d’être récompensés !

Cette frénésie a épargné in extremis les 100.000 travailleurs en Etablissements et Services d’Aide par le Travail, l’Unapei ayant obtenu qu’ils soient exemptés de la révision trimestrielle puisque leur rémunération est identique tous les mois. C’est d’ailleurs le cas pour la plupart des salariés en entreprises ordinaires, mais cela a laissé de marbre le CNCPH qui avait approuvé cette réforme en avril dernier, le Gouvernement profitant de l’absence providentielle « pour des raisons d’agenda » du Président de la si revendicative Association des Paralysés de France qui avait ce jour-là d’autres choux à planter…

Mais cette sanction n’était pas suffisante : avec le nouveau projet de décret l’oeuvre de mise au travail forcé se parachève en donnant aux représentants de l’État dans les CDAPH le pouvoir de retirer leur allocation à ces 670.000 présumés fainéants de bénéficiaires inactifs pour les forcer à aller au boulot. Nicolas Sarkozy n’avait pas proclamé autre chose lors de la première Conférence Nationale du Handicap : « Pour vivre dans la société il faut travailler, il faut aller à l’école, il faut aller à l’université. Sinon on est en dehors de la société ». Alors, pour les forcer à « vivre dans la société », le nouveau projet de décret comporte une autre disposition vicieuse : la définition de la « restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi » qui concerne les 300.000 allocataires dont l’invalidité est comprise entre 50 et 80%. Seront prises en compte les « déficiences à l’origine du handicap, les limitations d’activités en lien direct avec ces déficiences, les contraintes liées aux traitements et prises en charge thérapeutiques induits par le handicap, les troubles qui peuvent aggraver ces déficiences et limitations d’activités ». Mais pas le contexte social, les difficultés d’accessibilité, la situation économique du bassin d’emploi du demandeur, et par conséquent « la situation de handicap vis-à-vis de l’emploi ».

Pour compliquer davantage encore la vie des moins de 80% d’invalidité, ils devront renouveler leur demande d’AAH auprès de la MDPH au mieux tous les deux ans. On redoutait depuis quelques années la mise en place d’une politique d’activation, c’est-à-dire de mise au travail obligatoire, elle est là, bien réelle mais pas revendiquée par le Gouvernement et le Président de la République qui affirment encore vouloir le bien des personnes handicapées…

Après tout, on pourrait penser qu’en temps de crise tout le monde devrait se donner la peine d’aller bosser, bon gré mal gré, handicap ou pas. Sauf que les personnes handicapées ne peuvent pas contribuer à la production de la richesse nationale par leur travail dans un pays mal accessible. Et c’est là que le Gouvernement déraille : au lieu de faciliter l’accessibilité à tout pour tous, condition essentielle à la réussite d’une intégration professionnelle qu’il veut généraliser, il entend obtenir de l’Assemblée Nationale, à la mi-février, l’introduction de dérogations à l’accessibilité lors de la construction d’Etablissements Recevant du Public. De plus, le décret du 21 octobre 2009 relatif aux locaux professionnels neufs comporte des dérogations illégales et fait l’objet d’un recours au Conseil d’État. Enfin, aucune disposition réglementaire n’oblige à mettre les lieux de travail existants en accessibilité. Et pour couronner le tout, un groupe de travail interministériel composé de hauts-fonctionnaires prépare une révision générale des normes d’accessibilité, des élèves stagiaires de l’Ecole Nationale d’Administration ayant été chargés de sonder sur ce point les associations nationales de personnes handicapées.

« Le Président de la République a mis à l’écart l’accessibilité des personnes handicapées, c’est un sujet extrêmement sensible », expliquait Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, le 12 janvier dernier. Mais il n’est nulle part question d’une telle exception dans la lettre de mission que Nicolas Sarkozy a adressé, le 17 janvier, au sénateur Eric Doligé, chargé de formuler des propositions de révision de l’ensemble des normes que doivent mettre en oeuvre les collectivités locales. Ce que Jean Arthuis traduit ainsi : « Nous comprenons bien à quel point il faut faciliter la vie de nos concitoyens handicapés. Mais les normes qui ont été fixées vont être sans doute difficilement respectées, sauf à faire exploser un certain nombre de budgets, et nous demandons s’il n’y a pas matière à interprétation, à révision et peut-être à décalage dans le temps ». Le Gouvernement prépare cette révision des normes d’accessibilité parallèlement à la mise au travail forcé, tout en ajoutant de nouvelles épreuves au parcours du combattant que constitue pour les personnes handicapées l’accès à ce droit essentiel : vivre librement au milieu de tous.

Laurent Lejard, février 2011.

Partagez !