Mme Colboc, Mme Conrad et Mr. Tessier, tous trois architectes aux responsabilités ordinales ou extra-professionnelles importantes et revendiquées, semblent vouloir ignorer la définition du handicap formulée en 2002 par l’Organisation Mondiale de la Santé : « le handicap est le produit de l’interaction des facteurs personnels et sociaux d’un individu et des facteurs environnementaux ». Ce qui signifie que les personnes dites « handicapées » ne sont en réalité que des personnes confrontées à des situations de handicap. Situations générées par des « facteurs environnementaux », véritables obstacles insurmontables pour elles mais sans incidence pour les personnes dites « valides ». Dès lors, chacun devrait comprendre que la perpétuation de ces obstacles constitue une agression discriminatoire à l’égard de citoyens qui, en tant que tels, doivent avoir accès à tous les droits de tous les citoyens.

Contrairement au concept de quota de « logements adaptés » appliqué avant 1974 puis abandonné en 1980 car n’assurant pas l’adéquation entre les lieux d’offres et la demande, le concept de « logements adaptables pour tous » se déclinant à la demande en « logements adaptés pour certains » s’est logiquement imposé au législateur en 1980 et 1983. D’évidence Il élargit et ajuste l’offre de logements aux personnes dites « handicapées » et, le cas échéant, permet à moindre coût le maintien à domicile des personnes dites « valides » victimes d’une perte d’autonomie accidentelle, pathologique ou de plus en plus souvent liée à l’avancée en âge.

Au-delà de ces considérations et des strictes incidences économiques dont il serait absurde de s’affranchir pleinement sauf à sombrer dans l’utopie totale, une question évidente se pose quant au rôle des architectes et des constructeurs dans la conception d’une société « pour tous ». Les individus, citoyens libres selon la Constitution, doivent-ils s’intégrer dans une vision de l’architecture manifestement dominée par la rentabilité et la notion de prix, ou bien au contraire l’architecture et les architectes doivent-ils accompagner, voire initier la volonté sociale d’une société de mieux-être ?

Il semblerait que nos trois polémistes s’inscrivent clairement dans le premier terme de l’alternative, sous couvert d’une argumentation technique étonnante que ne renieraient pas la promotion immobilière et les grands constructeurs qui n’ont de cesse d’amoindrir les maigres progrès apportés par la loi du 11 février 2005 en matière d’accessibilité.

Ainsi, il est faux d’affirmer que cette réglementation « ralentit la construction de logements, contredit des objectifs d’habitabilité et d’écologie et aboutit à des paradoxes insurmontables ». En effet :
– le parc immobilier s’est accru de 1.236.000 unités, soit 3,89 % du 1er janvier 2007 (date d’entrée en application des principales dispositions de la loi du 11 février 2005) au 31 décembre 2009, à comparer aux 1.143.000 logements mis en service du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, soit une progression de 3,73%.sur un intervalle identique.
– la loi 2005 ne contraint pas à un « complément effectif de 5 m² par logement » mais défalque cette surface virtuelle de leur Surface Hors Oeuvre Nette (SHON), à titre d’incitation, et diminue ainsi leur assiette d’imposition fiscale. Véritable effet d’aubaine pour les promoteurs dont ne peut profiter une personne dite « handicapée » postulant à un permis de construire pour son propre usage.
– la loi 2005 n’induit pas une contraction nouvelle des surfaces ni un « appauvrissement social et architectural de l’habitat », ni la « suppression des fenêtres dans les cuisines et salles de bains » puisque les caractéristiques dimensionnelles actuelles concernant les portes, les circulations, les cuisines, les sanitaires et les salles de bains sont identiques à celles de la législation de 1975, et que dans le cas précis des fenêtres, il suffit de les choisir à commandes déportées.
– la loi ne favorise pas le glissement de l’habitat collectif vers l’habitat individuel, cette évolution constituant un phénomène en constante accélération depuis des décennies.
– il suffisait pour échapper aux foudres du Conseil d’État que les « logements temporaires » soient traités à l’identique des établissements hôteliers en définissant un quota de logements adaptés, aux normes ERP (Etablissement Recevant du Public) en ce qui concerne leur partie sanitaire.
– n’est-ce pas créer « un environnement plus humain et solidaire qui tire la qualité des logements vers le haut » que de concevoir un logement adaptable aux vicissitudes prévisibles ou accidentelles de l’existence ?
– comment parler « d’approche radicale de cette réglementation » pour le bâti existant dès lors que les règles d’accessibilité ne s’y appliquent que si le coût de la rénovation dépasse 80% de la valeur constructive neuve du bâtiment rénové ? Incidemment, notons que l’approche et la largeur de la porte palière, cas de conscience pour nos trois « résistants », sont commandées par le test du brancard de l’article R. 111 – 5 du CCH et non par la règlementation « handicap ».
– c’est bien parce que chaque handicap est « spécifique » que le concept de logements adaptables, grâce à la normalisation de quelques minima, favorisera la mixité sociale en assurant, au milieu de tous, l’accueil des personnes dites « handicapées » et le maintien à domicile des personnes antérieurement valides avant que d’être à mobilité réduite.

En conclusion, nous conseillons bien amicalement et pour le bien de tous à nos trois contempteurs de revoir leur copie…


Octobre 2010. Vincent Assante, président, et Christian François, administrateur de l’Association Nationale Pour l’Intégration des personnes Handicapées Moteurs (ANPIHM), auteurs des recours devant le Conseil d’Etat censurant le décret du 17 mai 2006 en ce qu’il instituait des dérogations non prévues par la loi du 11 février 2005.


La lettre ouverte au secrétaire d’Etat chargé du Logement, Benoist Apparu, a été publiée le 16 septembre sur LeMoniteur.fr. Le 27 septembre, Patrick Grépinet, auteur d’ouvrages sur l’accessibilité dans le bâtiment, rappelait quelques vérités.

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