Le 22 janvier, le Ministre du Budget et des Comptes publics, Éric Woerth annonçait que la Couverture Maladie Universelle complémentaire (C.M.U-C) ne serait plus délivrée que pour trois mois, pour « effectuer un contrôle plus poussé de la réalité des ressources » des demandeurs. « Nous devons fiabiliser certaines déclarations. Par exemple, la C.M.U est souvent attribuée en urgence, les revenus sont vérifiés rapidement, et les droits sont ouverts pendant un an ». De plus, « la C.M.U-C sera soumise à […] une procédure d’estimation du train de vie des bénéficiaires ». Ce nouveau décret soumet en effet les demandeurs à la C.M.U-C à des évaluations des biens et des ressources : si l’Administration vous soupçonne de mener un train de vie incompatible avec les recettes maximales mensuelles de 606€, elle pourra vous demander, par exemple, de prouver que personne ne vous prête régulièrement de véhicule.

La C.M.U.-C permet depuis 2000 aux assurés vivant avec moins de 606 euros par mois d’avoir droit à une complémentaire santé gratuite. C’est donc la possibilité d’accéder aux médecins, à l’hôpital, etc., sans dépense à charge et sans avance de frais. Elle est pour le moment délivrée pour un an, après examen des justificatifs de ressources des demandeurs par les Caisses d’Assurance Maladie. Ce dispositif d’accès aux soins est un des éléments mis en place par la Loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 pour réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. Il a fait ses preuves. Le rapport de la cour des comptes de septembre 2006 dresse un bilan positif de la C.M.U qui a amélioré « significativement l’accès aux soins de 4,8 millions de bénéficiaires » et qui « a peu pesé sur les dépenses de l’Etat ». La cour relève par contre la complexité du système et indique que « l’ensemble du dispositif gagnerait à être […] simplifié et rendu plus cohérent ». L’évolution dans le temps des dépenses individuelles reste relativement modéré. La part des dépenses hospitalières demeure stable avec 1/4 des dépenses, s’expliquant par l’état de santé plutôt médiocre des personnes en précarité. Un état de santé dégradé pour une population pourtant jeune : les bénéficiaires de la C.M.U sont plutôt des femmes vivant seules avec leurs enfants. Ainsi « la C.M.U permet un large accès aux soins à ces enfants qui n’en bénéficieraient pas autrement, ils étaient près de 1,9 millions en 2005 » (in Rapport d’activité du Fonds C.M.U 2005).

Alors, au regard de ce bilan pourquoi soupçonner la C.M.U d’être inflationniste ? L’objectif de l’Etat est que chacun puisse accéder aux droits et bien à ses droits au regard de sa situation. La fraude doit donc être repérée pour que le dispositif soit efficient. Encore faut-il que la méthode choisie soit adaptée et juste. Or, que voyons-nous ici : tous les utilisateurs du système vont être pénalisés lourdement au regard d’une poignée de « fraudeurs ». Comme le mentionne le fonds C.M.U, si fraude il y a, il semble qu’elle soit réduite et en tout état de cause elle n’a pas été chiffrée.

L’autre élément grave dans les mesures proposées par le ministre est qu’elles méconnaissent toutes les recommandations faites depuis de nombreuses années par les experts travaillant dans le domaine de la réduction des inégalités sociales de santé : complexification des démarches et ruptures de droit ont, sur le plan humain et financier, un impact négatif à moyen terme.

On le sait, prévention, dépistage et suivi régulier facilitent le maintien en bon état de santé. Quand pauvreté et vulnérabilité se conjuguent, l’accès aux soins n’est pas une priorité et l’ouverture des droits se fait souvent lors d’une demande de soins et sans anticipation. Ainsi, le non recours à la C.M.U-C est important, puisqu’il serait estimé entre 10 et 15% des bénéficiaires potentiels (in Rapport d’activité du Fonds C.M.U 2005). Les démarches ne sont pas faites par découragement devant la complexité du dispositif et par peur de la stigmatisation. De plus, en fin de droit, les démarches de renouvellement ne sont pas engagées et la personne perd ses droits. Lutter contre ce non-recours est une des priorités du Fonds C.M.U, l’Etat ne l’entend pas de cette oreille.

Médecins du Monde témoigne depuis plus de 20 ans en France, à partir de sa pratique de terrain, des freins à l’accès aux soins pour les plus vulnérables. Là encore, c’est une logique de « bouc émissaire » qui prévaut et nous la dénonçons. La stigmatisation prend le pas devant toute considération sur les droits humains et sur la santé publique. Il ne faudra attendre nulles économies à complexifier les démarches pour les plus vulnérables de nos concitoyens. La discrimination qui en résulte et qui pèsera sur les personnes malades aura des effets négatifs sur leur santé et finalement un coût majoré pour le système de protection sociale.


Pascale Estecahandy, administratrice Médecins du Monde, référente des programmes en France, mai 2008.

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