La conjonction des dates de la Journée internationale des personnes handicapées, le 3 décembre, et du Téléthon les 7 et 8 décembre, ne suscitait habituellement guère d’embouteillage, le second événement « mangeant » systématiquement le premier. Mais voilà que la programmation le 3 décembre au soir par TF1 d’un téléfilm adapté de la vie du jeune Vincent Humbert, de sa demande de mettre fin à ses jours après l’accident qui le rendit tétraplégique, muet et quasiment aveugle, et du geste d’euthanasie engagé par sa mère et achevé par un médecin, relance la polémique sur le droit à mourir dans la dignité. Une officine d’obédience chrétienne, qui prétend défendre les personnes en fin de vie, a financé la diffusion du témoignage d’un kinésithérapeute qui affirme que Vincent Humbert ne voulait pas mourir. Tant de silence pour finalement déballer son discours, voilà qui surprend. D’autant que ledit kiné affirme ne pas avoir été entendu lors de l’enquête judiciaire pour homicide, pourtant serrée, et qui a abouti à un non-lieu; si les policiers et le magistrat instructeur ne l’ont pas convoqué, pourquoi ne s’est-il pas manifesté ? Pour quelles raisons vient-il aujourd’hui servir d’alibi à un groupuscule qui milite pour le droit à mourir dans la douleur, probablement pour que les malades incurables puissent vivre dans leur chair et leur être les souffrances de Jésus en croix ?

Dans ce groupuscule se retrouvent les mêmes militants de l’interdiction de l’interruption de grossesse, ainsi que des membres du Collectif contre l’handiphobie opportunément créé pour obtenir la suppression de la jurisprudence Perruche. Ces derniers y sont parvenus avec la complicité des docteurs Bernard Kouchner et Jean-François Mattéi. Les médecins incapables qui ne voient pas (ou, pire, refusent de voir) un handicap génétique ou une grave malformation congénitale lors des examens prénataux sont des coupables non responsables : ils n’ont plus à indemniser tout au long de sa vie l’enfant né handicapé. Une iniquité juridique sur laquelle lorgnent des compagnies d’assurance qui aimeraient bien également ne pas avoir à payer les conséquences d’une faute commise par leur client.

Cette polémique risque déjà de faire une victime, le journaliste Nicolas Journet qui publie un livre à charge, à la limite du pamphlet, sur « sa » réalité de bipède vivant avec les séquelles du syndrome de Marfan. Comme de nombreuses personnes handicapées, il érige son cas en une généralité applicable à l’ensemble de ceux qui naissent avec un handicap d’origine génétique ou congénital détectable. Son credo : les diagnostics prénataux et préimplantatoire sont criminels, ils condamnent des enfants à ne pas naître parce qu’ils seraient porteurs de handicaps. L’éditeur en rajoute en proclamant sur le communiqué de presse accompagnant l’ouvrage : « Il faut réformer le Téléthon », accusé de « favoriser le développement d’une politique eugéniste en France, en subventionnant les recherches sur l’embryon, et le diagnostic prénatal » ! André Vingt-Trois, que le Pape vient de promouvoir cardinal, déclarait le 8 novembre dernier devant la Conférence des Évêques de France qu’il préside : « La générosité ne légitime pas tout. Nous souhaitons donc que chacun réfléchisse et que soient entendues les graves questions que nous avons soulevées : tri embryonnaire, utilisation des cellules embryonnaires et médiatisation de jeunes malades. Ces questions ne sont pas seulement les nôtres, mais nous devons les formuler. »

Effectivement, le Téléthon pose question et il est regrettable que l’on ne puisse toujours pas en débattre sereinement. L’image misérabiliste (ou héroïque) qu’il donne des personnes handicapées n’est pas celle que l’on apprécie de voir, le contexte d’une émission à grand spectacle ne justifiant pas tous les moyens lacrymogènes déployés pour susciter la générosité du public (l’avocate Elisa Rojas explique cela fort bien). Mais l’intervention incessante des lobbys et groupuscules défendant une politique de soumission à une souffrance plus ou moins « divinisée » empêche qu’un débat sain et réel sur les enjeux de la recherche médicale puisse enfin avoir lieu en France.

Laurent Lejard, novembre 2007.


L’intervention d’Elisa Rojas sur le Téléthon 2004 peut être lue en suivant ce lien.

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