La bible dit : tu ne tueras pas. Le bouddhisme dit : tu respecteras la vie. Comment pourrait- on respecter le désir d’une personne en phase de vouloir partir dignement, lorsqu’on sait que l’on respecte à peine la parole des vivants ?

Atteinte d’une maladie neuromusculaire dégénérative qui me condamne, je suis à l’heure actuelle sous respirateur de nuit, accrochée à un appareil qui prend la relève de mes poumons et de mon diaphragme, incapables d’assumer une ventilation nécessaire à bien vivre. Sous oxygène 24h/ 24h, diabétique avec une neuropathie extrêmement douloureuse, paralysée des intestins, dépendante de plusieurs sondages par jour pour évacuer les urines à cause d’un problème de reins, je suis sous morphine pour soulager la souffrance physique et la liste est encore longue.

Usée par la souffrance, fatiguée physiquement mais aussi et surtout moralement, exclue de la communauté des valides et de la société, abandonnée par les amis qui n’arrivaient plus à assumer l’évolution du handicap, culpabilisée par l’Eglise à cause de ma position de croyante et d’adhérente à l’idée du droit de mourir dans la dignité (appelé aussi euthanasie passive ou arrêt de l’acharnement thérapeutique), mal soignée par le personnel infirmier en constante surcharge « de cas lourd », je décide, un jour de 2002, d’arrêter d’être le souffre douleur d’une société qui ne peux ou ne veux pas assumer ses handicapés. Mon état général déclinant très rapidement, je me vois partir dans les services de réanimation, mon âge excluant obligatoirement l’interdiction de mourir. Oui, je suis trop jeune pour mourir, mais je suis trop malade pour vivre ! Alors j’en appelle au gouvernement : vivre dignement ou rien. L’appel est entendu mais cela ne fait pas réagir pour autant les fonctionnaires : 11 mois d’attente pour obtenir l’aide promise.

Comme Vincent Humbert, comme Mino [Dominique Knockaert N.D.L.R], je me permets de demander le droit de mourir dignement à notre Président Monsieur Chirac, mais il refuse avec des propos que l’on pourraient cataloguer de bidon lorsqu’on est en perpétuelle souffrance : l’éthique, quelle éthique ? Dieu, quel Dieu ? Celui que l’on accuse des mauvaises chose de notre terre ? Je trouve injuste de casser du sucre sur le dos des absents : comment peut- on se cacher derrière un Dieu en lequel personne presque ne croit pour s’excuser de la lâcheté à prendre ses responsabilités ? Je reste convaincue que « la vie est un cadeau que Dieu nous a fait et la mort un combat que la médecine nous demande de mener ». Oui, Dieu a donné l’intelligence aux hommes de la médecine, mais il ne leur a pas demander d’être « les gardiens de la porte de l’éternité » par laquelle ne transitent que ceux que la mort a arrachés violemment à la vie.

Aujourd’hui, j’ai obtenu du personnel 24h/ 24, mon opinion concernant le droit de mourir dignement n’a pas changé. Je déciderai de partir en temps voulu, lorsque la souffrance deviendra trop insupportable. Comme Vincent, j’ai choisis mon cercueil, réglé mes papiers, choisis le déroulement de mes obsèques. Un seul souhait, Monsieur le Président, celui de ne pas devoir m’échapper de la vie comme une voleuse prise en flagrant délit, comme Vincent a dû le faire. J’aimerai que mes frères et soeurs, mes petits neveux et nièces puissent garder une belle image de leur soeur, Tati. Pas de quelqu’un qui se bavait et se pissait dessus, qu’ils aient le droit en toute légalité de l’embrasser pour le voyage vers une nouvelle vie. Si l’on acceptait ne serait- ce que l’idée d’agréer « le testament de vie », des gens ne se réveillant jamais d’un coma et ne seraient pas condamnés à vivre les yeux ouverts, la mort sur le visage, fixant depuis des années un plafond blanc en attendant qu’une ombre noire épelle leur nom. La vie est bien autre chose que le souffle artificiel provoqué par une machine, bien autre chose qu’un coeur connecté à une machine et des yeux tourné vers le néant.

Sonja Rupp, octobre 2003.

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