Anne-Soline, atteinte de trisomie 21, est née il y a six ans et, si l’on m’avait demandé avant sa naissance si je me sentais capable de porter cela, j’aurais répondu d’une seule voix : ‘Non, ce n’est pas pour moi, d’autres le feront mieux que moi, j’en suis complètement incapable’. Je me serais sauvée en courant. J’ignorais alors tout de la trisomie et du monde du handicap, ma vie n’avait été qu’une grande ligne droite, facile et protégée.

L’arrivée de notre fille a tout bouleversé. Les larmes que j’ai versées à la naissance, la peur que nous avons partagée avec mon mari et l’angoisse qui nous a habités, ont fait place, six ans après, à une grande sérénité et à un bonheur que j’ai découvert grâce à l’arrivée de ce bébé imprévu. Je peux maintenant remercier pour la grâce d’avoir Anne- Soline à mes côtés, et pourtant le chemin parcouru a été long.

Au départ, je pensais que mon devoir était de tout faire pour que son handicap la gêne le moins possible, lui donner un maximum de chances pour qu’elle s’intègre dans notre société. Je voyais sa présence comme une épreuve où je devais donner le meilleur de moi- même, pour qu’elle se développe le mieux possible. À elle de faire des progrès en retour de tous nos efforts.

Un jour, quelqu’un m’a dit : ‘Arrête de lui demander de venir sans arrêt sur ton terrain, tu ne te rends pas compte combien c’est difficile pour elle, elle n’y arrivera jamais totalement. Tu vas la rendre malheureuse car elle croira que ton amour dépend d’une réussite impossible. Et si toi, tu allais un peu sur le sien, si tu essayais de la rejoindre là où elle est à l’aise’. Cette phrase a été un déclic, comme si j’attendais qu’on me la dise depuis longtemps. Anne- Soline avait trois ans à l’époque, elle traversait une période où elle s’opposait systématiquement, et plus elle s’opposait, plus je me crispais.

Alors petit à petit, je me suis laissée guider par ma fille dans un monde que je ne connaissais pas, un monde qui me faisait même un peu peur, celui des émotions (rage et joie) et de l’instant présent qu’elle vit pleinement. C’est refuser ce qui nous est donné qui n’a pas de sens, c’est se fermer à l’amour de notre enfant qui nous détruit.

Un matin, alors que je l’habillais et qu’elle s’appuyait de tout son poids sur moi, elle a mis ses mains autour de ma tête et m’a dit : ‘Je te protège maman, je suis là, ne t’inquiète pas, je te protège’. Qui, du fort ou du faible, protège le plus l’autre ?


M.-N. V., mars 2002
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Ce témoignage a été publié dans la revue Ombres et Lumière, trimestriel de l’Office Chrétien des personnes Handicapées, dans son numéro 137; il est reproduit ici avec l’aimable autorisation de la rédaction et de son auteur.

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