Le noir intrigue. Les voyants se demandent bien comment les personnes aveugles s’en débrouillent. Ils s’interrogent sur les sens que développent les non- voyants. Ils leur confèrent même parfois des qualités magiques. Il y a quelques années, Jean- Charles Ascherro, sur France Inter, discutait avec une femme qui devait absolument rester invisible, cachée derrière un paravent. Voir la (jeune) femme aurait semble-t-il « abîmé » la rencontre ! A partir de 1992, Michel Reilhac, Directeur général du Forum des images (Paris), installait à son tour un dispositif de parcours dans le noir total où l’on se déplaçait guidé par des personnes aveugles. Il organisait même de véritables dîners dans le noir. Il paraît que ces expériences ont donné grande satisfaction aux visiteurs. L’idée a depuis été reprise par le producteur de télévision Jean-Yves Robin qui en a tiré « Le goût du noir », série d’émissions présentée sur La Cinquième.

On a certainement de bonnes raisons de jouer dans le noir. Car l’obscurité gomme certains artifices dont notre société est remplie, le noir attise l’écoute, il sollicite des sens sous- exploités, il les aiguise, il touche l’imaginaire… ce que Pascal Parsat avait remarquablement mis en place dans son intelligent spectacle Colin-Maillard.

L’expérience du fauteuil roulant. L’APF inaugurait récemment « A hauteur d’auteurs », très belle exposition d’oeuvres réalisées par des artistes handicapés ou valides, placées à la hauteur d’une personne en fauteuil. (jusqu’au 22 avril 2001, de 10h à 20 h à l’Espace Les blancs manteaux, 48 rue Vieille du Temple, 75004 Paris). Les valides étaient donc invités à faire la visite assis. Six fauteuils décorés étaient à la disposition des visiteurs. Mais qui oserait s’asseoir dans ces engins trop maquillés ? Et personne n’était là pour accompagner l’expérimentateur. C’est pourtant en montrant la technicité de ces outils, en expliquant leur maniement, en évoluant ensuite sur les trottoirs de la ville que la personne valide va appréhender certaines contraintes et comprendre comment respecter ou aider la personne qui se déplace en fauteuil roulant. Il faudrait donc veiller à ce que l’expérience proposée ne soit pas un simple jeu et qu’elle ne mette personne en difficulté : ni la personne debout qui ose s’asseoir pour mieux comprendre et non pour s’amuser, ni la personne handicapée qui peut se sentir humiliée que l’on joue avec ce qui symbolise son handicap et qui devient une partie d’elle- même.

Ces expériences sont intéressantes et formatrices, à condition d’être réfléchies, expliquées, cadrées, accompagnées. C’est le prix de l’évolution nécessaire des mentalités.

Laurent Lejard, avril 2001.

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