Voilà un beau livre en bande dessinée de 300 pages pour découvrir une année scolaire dans une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis). Remplaçant en 2015 les Clis (classes pour l’inclusion scolaire), les Ulis réunissent des élèves pendant une partie de leur temps scolaire en alternance à leur présence en classe ou cours ordinaire. Dessinateur et scénariste vivant à Bordeaux (Gironde), Fabien Toulmé restitue l’ambiance, les relations entre enseignants, personnels, élèves d’une classe du collège Aliénor d’Aquitaine. Après avoir relaté en 2014 dans le roman graphique « Ce n’est pas toi que j’attendais » la naissance et les premiers mois de sa fille (lire cet article), il dessine à nouveau la vie avec un handicap au milieu des autres.

Question : Pourquoi vous être intéressé à une Ulis, d’ailleurs clairement identifiée, du collège Aliénor d’Aquitaine ?

Fabien Toulmé : J’aime bien m’intéresser aux thématiques sociétales, aux histoires qui concernent des gens ou des représentations qui sont assez peu racontées. Ensuite, je connaissais l’Ulis avec deux casquettes différentes : celle du père qui avait sa fille scolarisée en Ulis, et entre ce qui est présenté sur l’école inclusive avec un discours très volontariste et puis les choses qu’on vit au quotidien, il y a un certain déséquilibre. Donc je me suis dit qu’il y avait quelque chose à raconter. Et l’autre casquette, c’est le fait que ma femme est Accompagnante d’Élève en Situation de Handicap. J’avais l’autre versant de l’histoire, pas simplement le côté « père qui vit des choses plus ou moins heureuses en fonction des humains qui gravitent dans ce milieu-là ». En partant de là, je me suis dit que si je voulais raconter l’histoire, il valait mieux que j’aille passer un peu de temps en Ulis, même si j’avais des connaissances superficielles, extérieures.

Question : Vous racontez les difficultés, les joies, les drames, toutes ces péripéties de la vie, mais aussi un cadre qui semble confortable. Une Ulis avec 3 AESH, c’est quand même rare…

Fabien Toulmé : J’ai appris, à force de lecture, d’observation et d’échanges, qu’il y a de très grandes différences entre les régions et même les établissements. Il se trouve que dans l’Ulis où j’étais, il y avait trois AESH affectés à des élèves, soit de façon individualisée, soit mutualisée, et en fonction des allées venues d’untel ou d’unetelle, ils se retrouvaient de temps en temps à trois. C’est représentatif de l’Ulis où j’étais ici à Bordeaux, au collège Aliénor d’Aquitaine.

Question : Pourquoi ne pas avoir représenté des séances en inclusion dans des cours standards avec tel ou tel élève ?

L'arrivée de Matisse accompagné de sa mère

Fabien Toulmé : On voit le jeune [autiste] Matisse qui va en cours d’Art plastique. Après, le propos de cette bande dessinée c’était un an en classe Ulis. C’est un peu comme si je posais une caméra, et on voit ce qui se déroule tout au long de cette année. Il y a énormément d’histoires à raconter mais oui, effectivement il y a de l’inclusion, même si ça représente une partie assez petite du récit. L’idée, c’était vraiment de raconter l’histoire de la classe Ulis, du dispositif Ulis, et donc je me focalise sur les temps ou les jeunes sont réunis.

Question : Vous montrez, dans ce roman graphique bien teinté de réalité, un homme qui prend un poste d’AESH, c’est rare, alors qu’il est presque en déshérence, et comment, au contact d’élèves, notamment de Matisse, l’un et l’autre vont évoluer et sortir de leur enfermement respectif.

Le collège Aliénor d'Aquitaine vu par Fabien Toulmé

Fabien Toulmé : Les personnages qui composent l’histoire sont un cocktail de plein d’éléments que j’ai pu percevoir dans mon observation, dans les témoignages recueillis. Sur le côté masculin, effectivement l’essentiel des AESH c’est quand même des femmes, mais il se trouve qu’à Aliénor d’Aquitaine il y avait deux hommes, en soi c’est une particularité. Il me parait intéressant de montrer que des hommes font ce ce métier. Sur le profil des AESH, des gens le font parce qu’ils ont le goût pour l’éducation, le social ; des gens qui ont ce goût-là et qui restent, c’est assez peu fréquent parce que les conditions sont quand même pas évidentes, et je parle notamment du salaire, donc c’est assez rare qu’ils fassent de vieux os. Il y a aussi des gens qui se retrouvent là parce qu’on les y amenés, ou parce que, faute de trouver suffisamment de personnes, l’Éducation nationale, dès qu’il y a quelqu’un qui se présente et a l’air de bonne volonté, l’accepte. J’ai aussi vu des gens qui ont souffert dans une précédente expérience professionnelle, parfois fait un burn-out et repartent dans le monde du travail en allant vers ce genre d’activité. Certes, c’est difficile parce que ça demande de la patience, une bonne constitution physique et mentale, mais d’une certaine façon je pense qu’ils ont la possibilité de se consacrer un peu plus à un jeune et que, peut-être, il y a quelque chose de plus simple à gérer.

Question : L’AESH est un métier de l’humain au contact de l’humain, alors que le travail peut déshumaniser et entraîner un ras-le-bol, un burn-out…

Arrivée d'Ivan, nouvel AESH, dans la classe Ulis

Fabien Toulmé : Ça correspond un peu à une tendance générale. J’ai fait une précédente bande dessinée sur la question du travail et ses évolutions. Dans notre société, le travail a tendance à se déshumaniser, à se déconnecter du réel, à générer des traumatismes psychosociaux, des managements malsains. Ça amène beaucoup de personnes à se poser la question du sens de ce qu’ils font, pourquoi ils se lèvent à l’aube pour aller remplir des tableaux Excel. Quand on est malheureux, on a besoin de remettre un peu de sens dans son activité, et effectivement, dans les activités de la santé et du soin aux autres, on est au coeur du sens. On comprend immédiatement pourquoi on se lève le matin, on voit tout de suite le résultat de ce qu’on « produit. » Évidemment, ce n’est pas parce que ce qu’on fait a un sens que ça le rend plus simple, parce que dans la grande machine de l’Éducation nationale, avec les difficultés budgétaires, les gens se retrouvent aussi dans un système avec plein de dysfonctionnements. Dans ce cas-là, c’est l’humain qui fait résilience, c’est l’humain qui absorbe les éventuels dysfonctionnements.

Question : Depuis la sortie en librairie de votre ouvrage, avez-vous eu des réactions de lecteurs ?

Fabien Toulmé : J’ai pas mal de retours de gens dont c’est le métier et qui me disent que c’est très réaliste, qui se reconnaissent dans les situations. Des lecteurs me disent avoir été très touchés par les trajectoires de vie des différents personnages. Ils sont touchés et ravis de voir qu’un sujet quasiment jamais abordé en livre, bande dessinée ou film soit traité comme ça.

Question : En tant que père d’une adolescente handicapée intellectuelle, quel regard portez-vous, depuis sa naissance, sur l’évolution du quotidien des jeunes handicapés ?

Couverture du roman graphique Ulis

Fabien Toulmé : Quand on a un enfant porteur de handicap, et encore plus un enfant avec un handicap intellectuel plus stigmatisé que le handicap purement physique, il y a une espèce de filtre qui s’opère et fait que globalement on est plutôt en interaction avec des gens pour qui ce n’est pas un gros problème. Il y a peut-être un biais de perception lié à ce filtre. Ma sensation, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’évolution. Le film Un p’tit truc en plus a donné un coup de projecteur, je ne suis pas sûr que ça change profondément les choses. Ce que je vois dans l’évolution du langage, c’est plein de choses ne peuvent plus se dire, liées à l’homophobie, à la misogynie, de belles évolutions opérées sur ces sujets. Sur la question du du handicap et du handicap mental, j’entends encore souvent des propos qui me hérissent, et ça n’a pas l’air de poser trop de problèmes aux gens de dire des mots comme mongolien, alors que si on transposait ces mots à d’autres thématiques, je pense que ce serait très mal perçu. C’est un indicateur du fait que les choses n’ont pas tellement évolué, c’est peut-être le prochain progrès à faire, comme on l’a fait avec #MeToo. On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas dire n’importe quoi sur des personnes qui auraient des différences, sur des minorités. J’ai l’impression que ce n’est pas encore arrivé sur ce champ du handicap, et pour moi les choses auront changé quand on ne pourra plus dire ce genre de choses de façon aussi décomplexée.

Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2025.

Ulis, roman graphique écrit et dessiné par Fabien Toulmé, éditions Delcourt, 28,95€ en librairie et 19,99€ en numérique.

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