Fabien Toulmé avait peur de la trisomie et de ses conséquences, une peur ancrée dans son enfance comme il le relate dans le roman en bande dessinée qu’il vient de publier : en revenant de l’école, deux de ses camarades avaient agressé un jeune trisomique qui s’était approché trop près du grillage de leur établissement. Le ton est donné, dès les premières pages, Fabien Toulmé livre franchement son vécu de papa dont la seconde fille, Julia, est née trisomique. C’est elle, avec son vrai prénom, que l’on apprend à connaître au terme des nombreux épisodes depuis la grossesse de la maman, débutée au Brésil dont elle est native et poursuivie en banlieue parisienne où la petite famille vient s’installer. Tout se passe aussi bien que possible malgré le climat gris et froid, Fabien trouve rapidement du travail et la vie s’organise en dépit des angoisses du futur papa : certains signes des examens prénataux ont insinué le doute dans son esprit, Julia serait-elle trisomique ? Ce n’est qu’après une naissance difficile que le diagnostic tombera, dévastant un père qui refuse de prendre son bébé dans les bras, un rejet qui ira jusqu’au désir de la voir mourir lors d’une indispensable intervention chirurgicale…

« La volonté d’écrire le livre n’est pas née immédiatement après la naissance et dans les mois suivant, explique Fabien Toulmé. Elle est arrivée plusieurs années après, et cela ne correspondait pas à un besoin de se libérer, de se défouler. C’est plutôt l’envie d’écrire une histoire qui me paraissait une belle histoire qui devait être racontée. » Un récit graphique qui rappelle celui de Jérôme Ruillier, publié en 2009 chez Sarbacane. « Effectivement, poursuit Fabien Toulmé, on m’a parlé de ce livre après que le mien soit sorti. J’avoue que je ne l’ai pas lu, mais je pense que ça vérifie ce que j’avais un peu ressenti depuis la sortie de mon roman, les étapes, le cheminement qu’un papa fait vers son enfant, dans ce cas de figure, est un peu universel. On a tous plus ou moins les mêmes sentiments, la peur, la colère, l’envie de ne plus avoir cet enfant qui nous traverse l’esprit. Bien sûr, cela dépend de la capacité que l’on a à accepter cet événement, de la connaissance éventuelle du handicap que l’on peut avoir, mais depuis la sortie du livre j’ai eu des retours de parents qui ont vécu les mêmes expériences, qui s’y sont retrouvés. J’ai l’impression que l’enchainement de sentiments, de sensations, est commun à tout le monde. J’imagine que c’est un peu le processus du deuil, quand on perd quelqu’un, une série d’étapes par lesquelles on passe avant d’arriver à un sentiment apaisé. »

Si Fabien Toulmé n’a pu retranscrire fidèlement ce qui s’est produit dans les premières semaines après la naissance de Julia, il estime à 90% la part de réalité de son récit : « Julia est en maternelle, elle grandit bien, à son rythme, avec une évolution un peu plus lente que les autres enfants pour le langage, la propreté. Elle est belle, elle va très bien. » Il a eu diverses expériences professionnelles, notamment au Brésil où il a rencontré la femme avec laquelle il s’est marié, Patricia, qui lui avait donné une première fille, Louise. « Au Brésil, explique-t-il à la fin du récit, ils ont une façon un peu plus optimiste de parler d’un enfant trisomique. Ils disent que c’est un enfant spécial, spécial au sens d’exceptionnel. D’ailleurs, quand Julia est née, plusieurs amis de Patricia lui ont dit qu’elle avait de la chance d’avoir un enfant spécial. Pour certains Brésiliens, c’est le bébé qui choisit ses parents à la naissance. Dans notre cas, il aurait donc fallu considérer qu’on avait eu de la chance d’être choisis par cet enfant spécial : c’était donc une preuve de confiance, le signe que nous saurions nous occuper d’elle […] D’ailleurs, on a de la chance que Julia nous ait choisis. »

Et lors d’un séjour au Brésil, il a constaté cette différence de perception : « Je sens beaucoup plus d’empathie, de gentillesse, les gens viennent plus spontanément parler avec Julia, avec nous, qu’en France. » Et de conclure : « Une fois que l’on a démystifié toute cette problématique du handicap, on découvre des choses belles, agréables, heureuses. C’est ce que j’aimerais que les gens arrivent à comprendre. Finalement, ce qui nous rend triste et nous fait peur, c’est qu’on accole toujours à cette problématique les difficultés qui vont nous arriver quand l’enfant va grandir, qu’on sera obligé de le garder à la maison, etc., mais ça vient au second plan parce qu’un enfant handicapé est d’abord un enfant. L’aspect handicap s’estompe derrière la personnalité de l’enfant, l’amour qu’il nous apporte, qu’on lui donne, voilà ! »

Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2014.


Ce n’est pas toi que j’attendais, roman graphique de Fabien Toulmé, éditions Delcourt. 18,95€, en librairies et sur le web.

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