Il est impossible de créer en France un service Internet mettant en relation des familles ayant des enfants ou jeunes handicapés avec des professionnels médico-sociaux ou d’aide à domicile. Le cloisonnement législatif et réglementaire ne le permet pas, viennent de constater les créatrices d’Hapaulo, Élisa Jolivet et Léa Guezais. Toutes deux concernées par un frère ou soeur handicapés, elles travaillent depuis plus de deux ans à l’élaboration d’une plate-forme numérique permettant aux parents d’identifier et contacter les professionnels dont leur enfant ou adolescent a besoin, et qu’ils n’ont pas trouvé dans la proximité : garde d’enfants (éducateur de jeunes enfants, assistante maternelle, auxiliaire de puériculture), accompagnement spécialisé (psychomotricien, psychologue, éducateur spécialisé, ergothérapeute, moniteur éducateur, etc.), activité adapté (enseignant en activité physique adaptée, éducateur spécialisé en APA, etc.)

Léa Gueuzais et Élisa Jolivet

« À la fin de mes études, je me suis demandé comment mes parents allaient trouver des solutions de garde pour mon frère Paul porteur de trisomie 21, lorsque j’allais quitter le foyer familial, relate Elisa Jolivet. J’ai fait de la garde d’enfants pendant mes études, et constaté depuis des années que des services digitaux de mise en relation pour les enfants n’ayant pas de handicap ou de besoins spécifiques existaient. Malheureusement, il n’existe rien d’équivalent pour les enfants en situation de handicap. J’ai intégré début 2021 LaFabrik, l’incubateur de mon ancienne école de communication, et j’y ai rencontré Léa. J’ai très vite vu que nous avions des points communs. » Elles se sont alors associées dans un chantier numérique de plate-forme multiprofessionnels offrant une réponse globale, Hapaulo (en hommage à Paul, dit Paulo, le frère d’Élisa).

Les activités doivent être séparées

Mais voilà, elles ont découvert au début de l’année que la réglementation les oblige à séparer leurs domaines d’intervention, le premier demandant un agrément professionnel spécifique « Service A la Personne » qui interdit toute cohabitation avec les deux autres domaines.

Une fillette trisomique ©AdobeStock

En clair, une société ou association agréée SAP ne peut proposer également les services de professionnels médico-sociaux ou en Activité Physique Adapté. « L’agrément SAP dépend d’un cahier des charges incompatible avec un service digital novateur » ajoute Élisa Jolivet. Cet agrément contraint les acteurs du secteur à oeuvrer sur le terrain, en détenant dans chaque département d’implantation un lieu physique d’exercice, ce qui empêche de créer un service exclusivement numérique d’ampleur nationale.

« Ce qui est compliqué dans notre situation, c’est le vide juridique, poursuit Élisa Jolivet. La Direction Générale des Entreprises (DGE), au ministère de l’Economie et des finances, nous répond « vous ne pouvez pas sortir en l’état une plate-forme de babysitting » du fait du profil des accompagnants qui sont des étudiants ou des professionnels du médico-social. Or, les deux secteurs SAP et accompagnement spécialisé sont essentiels à l’équilibre de notre projet d’entreprise. Mais les SAP ont une exclusivité ; en fait, il faudrait gérer deux sociétés. » Là survient l’avantage fiscal applicable aux SAP, 50% de crédit d’impôt remboursable, mais non applicable aux éducateurs oeuvrant à domicile. Hapaulo n’obtiendra certainement pas l’extension de ce crédit d’impôt à l’ensemble de ses prestations, la tendance étant plutôt à en réduire le champ d’application pour soulager les dépenses du budget de l’État.

« On ne sait pas combien de temps il faudra pour aboutir, mais cette plate-forme sortira, même si ça prend du temps, conclut Élisa Jolivet. On est en discussion avec la DGE pour que le cahier des charges évolue, pour nous et d’autres. On veut apporter des solutions complémentaires à l’existant. Les familles qui se sont préinscrites sont derrière nous, parce qu’elles n’ont pas de solution, les manques sont tellement importants ! »

Laurent Lejard, août 2023.

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