On l’appellera Esther.

Répartition des types de violence : physique 30%, psychologique 28%, sexuelle 14%, économique 8%, administrative 4%, institutionnelle 4%,  médicamenteuse 4%, cyberviolence 2%

Esther a 60 ans. Elle vit avec une maladie invalidante contre laquelle elle se bat chaque jour. Mariée depuis des décennies, mère de deux enfants, elle partage son quotidien avec un homme qui peut faire preuve d’une violence extrême. Pendant longtemps, elle a banalisé les insultes, les coups, les humiliations, les viols. Nommer les violences, c’était les faire exister. Une nuit, il l’a poussée sur le canapé, couteau en main. Une autre fois, il l’a rabaissée pour un geste qu’elle « ne comprenait pas. » Il lui a fallu des années pour comprendre qu’elle était sous emprise. Et encore plus longtemps pour oser en parler.

Le jour où elle a appelé notre ligne d’écoute Écoute Violences Femmes Handicapées (EVFH), sa voix était si basse qu’on entendait à peine sa respiration. Elle a murmuré : « Est-ce que… est-ce que ce que je vis existe ? » Oui, Esther. Cela existe, lui a répondu Charlotte Bacon, écoutante professionnelle. Et si cela se perpétue, c’est précisément parce que beaucoup n’osent pas le dire.

L’invisible dans l’invisible

Depuis plus de vingt ans, à FDFA – Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, nous recueillons ces paroles fragiles : d’abord à demi-mots, puis plus clairement, puis avec une force immense. Ces récits ne sont pas des anomalies. Ce sont les manifestations d’une réalité profonde et encore trop méconnue. La société a progressé. Mais une vérité demeure : 4 femmes sur 5 en situation de handicap subissent des violences. Et elles restent pourtant les grandes oubliées de la protection sociale. Le paradoxe est cruel : celles que l’on entend le moins sont celles qui souffrent le plus.

Pourquoi ce chiffre reste-t-il ignoré ?

Près de 80 % des femmes en situation de handicap déclarent avoir subi des violences. Ce chiffre devrait être au coeur des stratégies publiques, des dispositifs féministes, des comités ministériels, des politiques sociales. Ce n’est pas encore le cas.

Répartition des auteurs de violences : conjoint et ex-conjoint 34,6%, entourage 28,8%, inconnus 9,6%, parents-enfant-fratrie 9,6%, professionnel de santé 7,7%, employeur  3,8%
Parce que cette réalité dérange nos représentations, et que le handicap reste enfermé dans une lecture médicale. Les violences vécues par ces femmes sont silencieuses. Elles se nichent dans les gestes du quotidien, masquées par l’idée d’aide. Elles sont confondues avec la fragilité, jamais reconnues comme systémiques. L’invisibilité transforme la violence en normalité. Chantal Rialin, Présidente de FDFA.

Un mouvement pour toutes les femmes

Les avancées sociales et les combats pour les droits des femmes ont ouvert des brèches immenses. Mais ils laissent encore trop souvent de côté les femmes en situation de handicap.

La question des femmes en situation de handicap n’est pas une revendication de plus : c’est une question de dignité, d’humanité et de responsabilité collective. Nous recevons près de 3000 appels par an. Ce sont des vies bouleversées. Une société se juge à la manière dont elle protège celles qui n’ont personne. Inclure les femmes en situation de handicap ne complique pas la protection : cela la rend juste, cohérente, humaine. Soraya Almansa, Directrice générale de FDFA.

Une société qui détourne le regard sans le vouloir

Il ne s’agit pas d’un manque de bonne volonté. Il s’agit d’un héritage culturel : le handicap renvoyé à l’infantilisation. D’où des situations absurdes et pourtant quotidiennes :

  • une femme sourde ne peut pas porter plainte faute d’interprète ;
  • une femme malvoyante signe un document illisible pour elle ;
  • une femme autiste est hospitalisée alors qu’elle avait simplement besoin de calme ;
  • une femme en fauteuil se voit refuser un refuge, faute d’accès.

La violence commence souvent là où l’intention n’existe même pas. Quand la société détourne les yeux, la violence progresse.

Ce que nous faisons – et pourquoi il faut changer d’échelle

À FDFA, nous avons créé, sous l’impulsion de la direction, ce qui n’existait nulle part ailleurs : des outils conçus par et pour les femmes en situation de handicap. Des outils pensés pour être appropriables, accessibles, utilisables.

Handimètre

Le Handi’Mètre – une innovation majeure
Initiée par Soraya Almansa et réalisée par Albertine Roux, cette création inédite permet de mesurer, qualifier et comprendre les violences vécues par les femmes en situation de handicap. Le contenu est adapté, simplifié, accessible. Les femmes peuvent se l’approprier : c’est leur outil, né de leurs réalités.

La Roue des violences – comprendre l’ensemble des violences
Également initiée par la direction, la Roue des violences a été réalisée par Léonie Humbert, étudiante à Sciences Po Paris, en stage à FDFA. Cette roue identifie clairement les violences psychologiques, économiques, administratives, institutionnelles, numériques, médicales… Toutes les violences que les femmes en situation de handicap subissent, mais que personne ne nomme.

La Frise chronologique – inscrire l’histoire dans le temps long
Toujours initiée par la direction, cette frise a été réalisée par Asanya Rey, étudiante à Sciences Po Paris et stagiaire FDFA et qui avait déjà conçu la campagne de sensibilisation « J’écoute. » Elle retrace les dates, les lois, les avancées, les combats pour aller vers une justice sociale. Elle montre le chemin parcouru et révèle les zones d’ombre de notre mémoire collective.

Ce que nous appelons de nos voeux

Nous voulons une société où :

  • la lutte contre les violences inclut toutes les femmes ;
  • l’accessibilité n’est pas optionnelle ;
  • les lieux d’accueil sont adaptés aux mobilités, aux corps et aux communications ;
  • les femmes handicapées participent aux décisions, pas seulement aux accompagnements ;
  • la vulnérabilité est perçue comme un appel à la responsabilité collective.

Nous n’appelons pas à une rupture brutale. Nous appelons à un élargissement du regard, à une maturité collective nouvelle. Quand les plus invisibles deviennent visibles, tout le monde se relève. Depuis vingt ans, nous observons la même réalité :

  • Quand une femme en situation de handicap retrouve sa voix, la société s’élève.
  • Quand une femme sourde est entendue, tout le monde gagne.
  • Quand une femme en fauteuil peut fuir un danger, tout le monde gagne.
  • Quand une femme déficiente intellectuelle est crue, tout le monde gagne.
  • Quand une femme autiste est accueillie avec respect, tout le monde gagne.
Une société qui n’oublie aucune femme ne protège pas seulement les invisibles : elle devient meilleure.

Chantal Rialin, Présidente de Femmes pour le Dire Femmes pour Agir (FDFA) et Soraya Almansa, Directrice générale, décembre 2025.

Écoute Violences Femmes Handicapées (EVFH) répond du lundi au vendredi entre 10h et 17h au 01 40 47 06 06, ou joignable par courriel : ecoute@fdfa.fr.

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