Question : En introduction de votre récit, Patiente, vous écrivez « Encore une rescapée qui écrit sur sa maladie. Encore une qui va nous pondre un récit larmoyant et dégoulinant, mouillé au kleenex. » Pourquoi l’avoir fait ?
Violaine Vim : En fait, j’ai écrit ce livre juste pour mon fils, parce que j’ai été absente pendant longtemps et quand j’ai retrouvé la force d’écrire et de dessiner, réappris à écrire avec mon art-thérapeute puis à dessiner, mon obsession c’était de restituer à mon fils et de ne pas oublier ce qui s’était passé. J’ai fait des centaines de croquis, des mauvais qui ont fini à la poubelle, d’autres publiés. Je voulais tout raconter comme je l’ai toujours fait, avec le dessin, de manière très simple. Et puis je me suis rendu compte que mes dessins étaient parfois violents, avec beaucoup d’émotion qui me dépassait, me submergeait, j’y mettais toute ma colère. Je me suis dit : « c’est aussi un livre pour adultes, il y a des choses que je vais montrer à mon fils et d’autres que je vais garder pour moi. » Et puis j’ai rencontré Claude Pinault, auteur du Syndrome du bocal publié il y a plus de 10 ans. L’idée de publier à germé dans ma tête, j’ai réalisé un premier jet envoyé à des grandes maisons, reçu des refus et fermé le chapitre. 4 ans plus tard, j’ai rencontré Clémence Bellanger née avec la maladie des brides amniotiques ; son visage est totalement abîmé, elle a subi de multiples opérations, elle raconte tout cela dans Née comme ça qui m’a touché parce que c’est une femme de mon âge. Elle m’a mise en relation avec son éditeur, j’ai hésité, puis je me suis dit qu’un livre c’est avoir le droit à la parole publique.
Question : Un livre exutoire ?
Violaine Vim : Pour moi qui travaille dans les médias, qui cherche des interactions sociales via mon ordinateur, c’est un très bon moyen d’avoir des retours, de trouver des femmes de mon âge avec un parcours qui me ressemble : pendant ma rééducation, ma soeur voulait m’aider à chercher des témoignages de femmes qui se retrouvent subitement handicapées, qui ont un enfant et des « problématiques de femmes », elle n’en a pas trouvé. Je lui disais : « je ne veux pas lire des trucs larmoyants, je suis déjà assez triste comme ça, je ne veux pas prendre la misère du monde et puis, de toute façon, moi je suis pas une handicapée comme les autres, moi je récupérerai. » Il y avait vraiment un rejet et, quand je me suis dit que le livre allait sortir, j’ai ressorti cette phrase « je ne veux pas faire un livre larmoyant » mais par contre sensibiliser au handicap et au syndrome de Guillain-Barré. Parce que je suis intimement persuadée que, si on l’avait détecté plus tôt, je ne serais pas dans cet état ; j’ai perdu beaucoup de temps et le traitement est arrivé très tard. On ne peut pas refaire l’histoire, mais j’aurais dû moi-même m’alerter avec les signes que j’avais, consulter rapidement un médecin.
Question : Le Guillain-Barré est particulièrement douloureux du fait de la destruction de la gaine protectrice des nerfs, mais qu’est-ce qui a pesé le plus ?
Violaine Vim : Je suis restée 3 mois en réanimation, donc enfermée dans mon corps avec des douleurs insoutenables, comme si on me sciait les jambes à vif. On me donnait des sédatifs mais ils entrainaient des nausées et je vomissais dans ma sonde. Bref, 3 mois horribles et puis la lumière, la rééducation. J’ai eu de la chance d’avoir des kinés exceptionnels. Quand je suis arrivée au centre, je ne tenais pas ma tête, je n’avais pas la force de me voir, je portais toujours des couches, et j’avais perdu toute féminité : c’est ce que j’ai vraiment ressenti en réa et c’est pour ça aussi que je voulais absolument témoigner ma gratitude envers le personnel soignant. J’ai été soignée par des jeunes femmes, aides-soignantes, infirmières qui se sont prises de compassion vis-à-vis de moi ; elles me parlaient, racontaient les potins dans ma chambre, ont compris que j’avais besoin de soins un peu particulier ; elles m’ont fait des shampoings, coupé une frange, ont fait venir une socio-esthéticienne pour me maquiller. J’avais envie qu’on me redonne un visage humain malgré la trachéotomie, même si ça ne servait absolument à rien parce que je ne voyais personne, mais j’avais vraiment besoin de me revoir. Pour être autre chose qu’un corps qu’on tourne et retourne.
Question : C’est ce vécu que vous exposez à travers des dessins illustratifs, figuratifs, abstraits parfois, mais aussi très expressionnistes ?
Violaine Vim : Je les ai tous réalisés, avec une grande diversité de supports, à la main ou sur ordinateur. Ils datent de 4 ans, et je voulais vraiment qu’on voie la progression de mon état. Je voulais aussi qu’il soient le plus expressif possible, parce que je voulais dessiner à la fois ce que j’ai ressenti et essayer de transmettre toutes les émotions par lesquelles je suis passée. La douleur est universelle et je pense que les gens qui ont vécu un séjour en réa, qui ont été confrontés à la douleur, vont se reconnaître. Aujourd’hui je sais que j’ai un handicap, mais qui est tout relatif par rapport aux autres. Ce que je retiens de cette aventure, c’est que j’ai rencontré des gens exceptionnels, que j’ai pu ensuite refaire ma vie. Je ne pensais pas avoir cette capacité de rebondir à ce point-là. Avec mon ex-conjoint, on s’entendait très bien, mais on a pris des chemins très différents : lui voulait aller de l’avant et oublier toute l’histoire, ne jamais parler de mon handicap. Sauf que moi aujourd’hui, je suis fatigable, j’ai besoin de parler du handicap et de rencontrer des gens comme moi. Je me sens assez isolée, quand je sors, d’être la seule handicapée, et du fossé entre valides et non-valides. Et en même temps de pas être dans le « team » des handicapés les plus graves. Alors que je ne suis pas seule, j’ai retrouvé l’amour et plein de choses, je me dis « en fait tout est malgré tout possible », que finalement dans ma vie je n’ai pas tout perdu. J’ai récupéré des relations fortes avec mon fils, on a eu des périodes compliquées parce que je l’ai vu très peu pendant un an, et quand je l’ai retrouvé j’avais vraiment l’impression que j’étais une étrangère. Oui, je n’ai pas tout perdu.
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2023.
Patiente, par Violaine Vim, éditions Amphora, 21,50€ en libraires et chez l’éditeur, 9,99€ en numérique.