Une fille debout, tel est le titre du récit que vient publier chez Atlande la Réunionnaise trentenaire Sabrina Dijoux. Elle raconte en une centaine de pages comment elle a surmonté toutes les préventions de l’encadrement médico-social pour accéder, dès la fin de l’adolescence, à une vie indépendante qu’elle a organisée elle-même, sans aide humaine. Pour cela, elle a affronté les conséquences de l’infirmité motrice cérébrale congénitale résultant de l’alcoolisme de sa mère, à laquelle elle est pourtant restée profondément attachée. « Je traînais mon passé comme un boulet. Et on ne parle pas du syndrome alcoolique foetal, tabou à La Réunion. L’alcoolisme y est assez important, rhum, whisky, bière, à tous les âges, chez les femmes et les hommes. Je n’en connais pas les causes, je pense qu’il y a de la souffrance, l’alcool permet de moins la ressentir. » C’est cette souffrance de la vie au quotidien que Sabrina a ressentie chez sa mère et son père, qu’elle a toujours trouvé très aimants et auxquels elle n’adresse aucun reproche.

Un appartement pour l’autonomie

Son énergie, sa volonté, elle les a mobilisés pour vivre pleinement en sortant aussi rapidement que possible de la prise en charge médico-sociale avec le soutien de la Fondation Père Favron.

Couverture du livre Une fille debout

« J’ai été suivie par la fondation à Saint-Louis, dans le sud. On est plusieurs à avoir grandi avec du personnel qui nous a poussé vers l’autonomie dès nos 10 ans. J’avais extrêmement souffert de perdre mon papa, je me suis dit qu’il ne serait plus là pour me protéger, et le service n’était pas habitué à cela quand je leur ai demandé de passer par l’appartement d’accès à l’autonomie qui n’était pas utilisé. » Elle avait alors 16 ans : « J’y suis allé au culot, ça a duré 2 ans et demi, personne y croyait. Les encadrants pensaient que ça ne durerait pas. Quand un appartement définitif m’a été proposé, le bailleur m’a demandé « qu’est-ce que vous connaissez de la vie en appartement ? » A l’époque, je n’employais pas de personnel de maison parce que j’avais besoin de me prouver que je pouvais tout faire, et ma famille n’y croyait pas. Si je mettais du personnel, je n’étais pas crédible. Maman m’aidait pour les tâches impossibles, en s’étonnant de ce que je faisais pendant son absence. » Pour ses 20 ans, Sabrina vivait chez elle, dans un appartement qui ne sera réellement adapté que 10 ans plus tard à la faveur d’une rénovation générale de l’immeuble, mais elle avait réussi : avoir une vie indépendante.

Son quotidien, ce sont des sorties, les amis, les soins kinés bien évidemment, et l’entretien de son appartement désormais partiellement assuré par des aides humaines. « Je sors, je profite de la vie, je voyage, je m’occupe de la maison qui me prend du temps, je vois mes amis. Une scoliose m’a contrainte à arrêter le sport, c’est moi qui crée mes activités. » Dont des rencontres associatives autour de son livre. « Mon entourage a été étonné par ce témoignage, on m’a dit que c’est un ascenseur émotionnel, on passe du rire aux larmes. Il a été très bien reçu par l’antenne locale de Vivre avec le SAF, pour le présenter, ainsi que mon parcours. Ses membres connaissent peu de parcours comme le mien. »

Une vie comblée

Sabrina n’a pas réussi à accéder à un emploi, du fait d’une scolarité qui ne l’a pas conduite vers un diplôme et une qualification. « Je vis avec l’Allocation Adulte Handicapé, je n’ai pas honte de le dire. J’ai essayé de travailler, quand j’étais à la fondation, dans des formations en secrétariat. Mais même les plus petites taches sont compliquées, il me faut du temps, je ne peux pas faire deux choses en même temps. Il y avait moins d’outils techniques à l’époque, je ne pouvais pas tenir physiquement et mentalement, j’ai des difficultés de coordination de mes mouvements. » Mais elle a connu le grand amour avec un jeune homme valide. « Il ne voyait pas le fauteuil roulant et m’acceptait telle que j’étais, avec ma personnalité qui savait ce que je voulais. Après, je n’ai pas eu de nouvelles relations affectives parce que j’ai eu du mal à m’en remettre, j’ai besoin de reprendre confiance. C’était une belle histoire mais douloureuse, c’était mon premier amour. Je me mettais dans la tête que ça allait se terminer, je me suis mise en échec en pensant que mon fauteuil était la cause, une bête noire pour les relations amoureuses. »

Que lui manque-t-il pour être pleinement heureuse ? « Pas grand chose, même rien du tout ! Comme je dis souvent, je ne peux pas demander plus à la vie, parce que beaucoup de personnes handicapées n’ont pas ce j’ai. Je suis comblée. »

Laurent Lejard, août 2022.

Une fille debout, par Sabrina Dijoux avec Audray Sangoumian, éditions Atlande, 15€ chez l’éditeur.

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