On la croise parfois lors de conférences de presse ou d’événements handicap : Caroline Lhomme fait tout pour se faire remarquer malgré sa petite taille. Généralement, elle arrive en retard et on ne voit qu’elle d’autant plus qu’il lui faut un temps infini pour rejoindre un siège, à très petits pas et canne bien verticale ! En revanche, on l’entend à peine, voix basse mais débit rapide, et il faut tendre l’oreille pour la comprendre. Jadis attachée de presse chez l’éditeur grenoblois Glénat, elle a survécu d’un Accident Vasculaire Cérébral qui faillit l’emporter en mars 2001. Récupérée in extremis mais en très mauvais état, trachéotomisée et privée de la parole, elle a lentement reconquis son autonomie et s’est reconvertie dans le journalisme spécialisé handicap. Ce parcours de résilience, pour employer un terme à la mode, Caroline Lhomme le raconte en rassemblant dans le livre Bienvenue dans mon demi-monde (illustré par Florence Cestac) des courriers électroniques relatant son quotidien jusqu’à 2011. « Petit à petit, justifie Caroline Lhomme, j’ai pu reprendre la plume pour faire rire famille, amis, copains. La période au-delà de 2011 pourrait figurer dans un second tome, J’élève mon kiné, après J’élève mon médecin. Et peut-être un 3e, J’élève mon thérapeute. J’espère écrire d’autres livres, dont la vie du chien de mon kiné Jacques, Jason, un labrador noir. Je les ai connu à l’Institution des Invalides quand je ne pouvais pas parler à cause de la trachéotomie. J’écrivais, et les stagiaires kinés lisaient. Quand on m’a rendu la parole après une opération, Jason a été surpris par le son de ma voix ! »

En bonne Parisienne, elle a sa propre technique pour affronter la foule : « Les jeunes me bousculent dans la rue, et pour qu’ils ne le fassent pas, je les regarde droit dans les yeux, ils s’enfuient en glapissant, ou bien j’élève ma canne en hurlant ! » Mais Caroline est tributaire des autres ou des transports collectifs pour ses déplacements : « J’utilise PAM, les taxis, les voitures des amis. PAM s’améliore en ce moment, il y a moins de demandes et ils ont fait des efforts, j’arrive à commander un transport la veille pour le lendemain. » L’épidémie de coronavirus a visiblement réduit la demande de transport adapté, alors que les embouteillages à Paris et Ile-de-France battent ces jours-ci tous les records, plus de 500 km chaque matin. Elle s’est recyclée dans le journalisme en 2007, en travaillant à la pige pour le quotidien gratuit Métro, et en alimentant un blog consacré à son quotidien de femme handicapée, une activité non rémunérée. « Métro a effacé le blog. Je les ai quitté en hurlant parce qu’ils pensaient pouvoir me traiter comme une merde ! » Même cause même conséquence avec la radio parisienne du handicap Vivre FM qu’elle a quittée avec cris et fracas, avant sa restructuration, qualifiant de rédacteur en chef de l’époque de « pervers narcissique » méprisant des animateurs handicapés forcément bénévoles. « Je le terrifiais », concède-t-elle… Heureusement, les autres médias du monde du handicap pour lesquels elle travaille sont plus corrects, en contrat avec l’un, à la pige pour un autre qui paie une misère. Et elle complète ces activités journalistiques avec quelques heures hebdomadaires de travail administratif dans une entreprise, l’ensemble lui assurant un complément de sa pension d’invalidité qui lui fait retrouver à peu près le niveau de revenu d’avant l’AVC.

Caroline Lhomme et Florence Cestac

« Je passe le quart de ma vie dans le médical, de plus en plus aux thérapies douces, parce que les injections de Botox tous les trois mois pour réduire la spasticité ont fini par m’empoisonner. » Elle a consulté d’autres médecins, bactériologue et pneumologue, qui ont suspecté une intolérance. « J’envisage la chirurgie pour combattre la spasticité, et devenir une coureuse de marathon ». Le reste de son temps, c’est pour le travail et les amis. « J’aimerais passer avec eux la moitié de mon temps. On s’est connu dans les bars, on picole pas mal dans le monde du handicap. » Beuveries qu’elle relate dans son récit. Autant dire que son séjour hivernal en rééducation à Berck-sur-Mer n’a pas été des plus agréables sur ce point : trois mois d’abstinence, parce que quelques jours avant la fin de son séjour le Président de la République a décidé de confiner la population à domicile : « Pendant deux mois, interdiction totale de sortir, un cerbère nous courrait après si on tentait. Heureusement que j’ai été relogée dans une grande chambre avec vue sur la mer. J’ai vu plusieurs tempêtes, j’adore ! Ca m’a fait penser à ma nièce qui est un ouragan humain. Comme moi avant l’AVC, et je suis toujours un ouragan ! »

Côté loisirs, sa vie était bien remplie jusqu’à l’épidémie. « Je n’ai pas eu l’occasion de faire du surf récemment, Vagdespoir n’organise plus de journées en Seine-et-Marne. » Elle pratique couchée sur la planche, ou à genoux, entre deux gadins. Et le parapente s’est également interrompu à cause de la dissolution, faute de bénévoles et de membres, de l’association Action Découverte, Aventure Evasion (ADAE) créée en 2002 par des personnels soignants de l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine). Elle organisait tous les ans une croisière à Pen Bron (Loire-Atlantique), dont le centre de rééducation a fermé début 2017 et l’hôtel adapté repris par une société de commercialisation de séjours de vacances. Investie dans l’associatif, Caroline est représentante à Paris et Ile-de-France de l’APF France Handicap, pour recruter des bénévoles et faire du sport, des rencontres, des loisirs. Elle milite également au sein de l’organisation féministe Femmes pour le Dire Femmes pour Agir (FDFA) dont elle est administratrice : « On veut faire bouger les lignes. Cela se passe très bien, les trois co-présidentes se partagent les tâches. L’organisation est très active dans les milieux féministes, mais encore invisible du grand public. » Côté sentimental, elle avoue quelques amoureux sans suite : « Cela n’a pas duré, mais je suis chiante aussi. Je l’ai toujours été, ça fait fuir, et ça attache aussi… » Tout cela, elle voudrait le faire passer au grand public à la faveur de la promotion de son livre, sur les plateaux télés ou radios qui voudront bien l’inviter : « Je veux montrer que les personnes handicapées sont vivantes, que le grand public nous voit autrement, on a de l’humour, on est sympa, et rock ‘n roll ! »

Laurent Lejard, octobre 2020.

Bienvenue dans mon demi-monde, par Caroline Lhomme, illustré par Florence Cestac, Éditions Hugo Desinge, 19,95€ en librairies.

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