Contre toute attente, les Béninoises handicapées ont été oubliées lors des manifestations de la Journée Internationale de la Femme du 8 mars dernier. Elles sont ainsi reléguées au second plan à la fois par les valides, femmes et hommes. Sans soutien, les Béninoises handicapées se retrouvent face à d’autres défis majeurs qu’elles doivent relever chaque jour pour ne pas être marginalisées.

Ainsi l’exprime Marie Aïhou, 40 ans, handicapée moteur et mère de quatre enfants à sa charge depuis que leur père les a abandonnés : « Mon mari est un paysan. Ses parents n’ont jamais voulu qu’il se marie à une femme handicapée. C’est la raison pour laquelle je ne suis jamais restée chez lui. J’ai fait tous mes enfants chez mes parents, et par la suite il m’a abandonnée. » Marie a très tôt été orpheline de père et mère. Elle se bat pour assurer la subsistance et l’éducation de sa famille grâce aux bénéfices issus de la vente d’oranges et d’arachides grillées. Mais, face à la réalité, ces bénéfices ne permettent pas d’assurer l’école à tous. Le dernier de ses enfants, âgé de douze ans, est passé en apprentissage. L’aide qu’apporte la famille à Marie est dérisoire : « Je compte sur mes tantes et mes oncles. Depuis que mon frère s’est marié, il ne me vient plus en aide. Il arrive que j’ai pitié de mes enfants et de moi-même face à certaines difficultés… Je n’arrive pas à subvenir seule aux besoins de mes enfants. Je ne me suis jamais remariée parce que j’ai peur des mensonges des hommes : l’expérience que j’ai eue avec le père de mes enfants me fortifie dans cette logique. C’est grâce au Centre de Promotion Sociale qui m’a fait don d’un tricycle et d’une somme de 40.000 CFA [61€] que j’ai pu commencer une activité génératrice de revenus. » Marie agit pourtant au village de Covè, dans le département du Zou à 120Km de Cotonou, la capitale économique du Bénin : « Je suis militante du groupement des personnes handicapées dans lequel j’ai occupé la place de trésorière au sein du bureau élu. Mais, du fait que je ne suis pas lettrée, j’ai dû laisser la place à une autre qui est instruite. C’est grâce à ce groupement que j’ai pu avoir mon tricycle pour mes déplacements. »

Dans le même département de Zou, Jocelyne Hounhouto est institutrice à l’école publique de Zangnanado. Handicapée moteur âgée de 37 ans, elle élève seule ses deux filles. Elle a suivi les cours primaire et secondaire jusqu’en classe de 1ere où elle a été contrainte d’abandonner par manque de moyens financiers, au profit de l’apprentissage en coiffure. Libérée de l’apprentissage, elle a exercé le métier de coiffeuse pendant 9 ans sous le toit conjugal, avant de fermer son salon à cause des préjugés liés à son handicap. Elle s’est alors engagée dans l’enseignement : « J’étais victime de préjugés de la part de certaines apprenties et clientes et de mes beaux-parents. En effet, il arrivait que certaines clientes s’apercevant de mon état trouvent rapidement un prétexte pour partir ! L’autre problème était le regard des beaux-parents : ils n’ont pas accepté ma relation conjugale avec mon mari, ceci a été à l’origine de notre séparation. Mes deux filles ont été laissées à ma charge. Avec mon BEPC, j’ai dû me battre pour intégrer le corps des enseignants du cours primaire. Avec mon salaire, je parviens à éduquer mes filles comme toute mère. Il est à noter qu’au début, les regards des collègues pesaient sur moi pour voir comment je pourrais m’en sortir. » Jocelyne est dégoutée par le comportement masculin : « Au Bénin, beaucoup d’hommes chosifient la femme en général, et en particulier la femme handicapée, surtout quand elle n’a pas une situation financière. Par ailleurs, certains hommes sont curieux de voir comment la femme handicapée se comporte au lit… »

Des défis que les femmes handicapées pourraient relever en se battant pour leur instruction, leur formation, et pour un emploi dans le but d’avoir leur place au sein de la société, surtout auprès des hommes : « Actuellement, ajoute Jocelyne, mes beaux-parents sont en train de m’accepter parce que je ne suis plus une charge pour leur fils et je ne l’attends plus pour élever leurs petites filles. » Et de déplorer la portée de la Journée Internationale de la femme organisée au Bénin : « Cette journée est visiblement consacrée aux femmes non handicapées ! Nul ne parle de l’égalité des chances entre elles et les femmes handicapées. »

Autre exemple : atteinte par la poliomyélite dès l’âge de trois mois, les médecins ne donnaient aucun espoir à Oloufèmi Alexandra Houssou, aujourd’hui âgée de 35 ans et mère d’une fille : il a fallu la ténacité et la détermination de sa mère, enseignante, pour qu’Alexandra survive. Comme tous les enfants, sa mère l’avait inscrite au cours primaire où elle n’a pas eu de problème d’accessibilité. Mais, les salles du cours secondaire étaient à l’étage : face à cette difficulté, Alexandra a été transférée dans un cours privé d’où elle est sortie nantie du BEPC et d’un CAP en Secrétariat. Trouver un emploi s’avérant un casse-tête, elle a entrepris la vente de cartes GSM et de petits articles. « Comme toute jeune fille, j’ai eu des aventures amoureuses, reconnait-elle. C’est dans l’une d’elles que je suis tombée enceinte… Ma mère avait peur de l’accouchement et de la vie que je mènerais ensuite à cause de mon handicap. L’auteur de ma grossesse s’était heureusement trouvé un emploi de nuit pour les dépenses. Mais, quand l’enfant a eu sept mois, son père a voyagé… et plus rien. C’est très difficile pour une femme handicapée d’élever seule un enfant. Un jour, l’un des amis de mon copain m’a confié que le père de mon enfant disait qu’il ne pouvait pas épouser une femme handicapée. C’est peut être cela qui est à l’origine de son départ à l’étranger. » Le hasard des rencontres a heureusement fait sortir Alexandra de cette situation impossible : « C’est à cause de l’enfant que j’ai commencé par chercher un stage. Je l’ai obtenu grâce à une personnalité politique, dans un ministère où j’ai été à la limite de l’humiliation. Mais j’ai tenu bon. » Sa ténacité a payé : aujourd’hui, elle est secrétaire de direction.

Étudiante en fin de cycle à l’école supérieure des assistants sociaux à la faculté des sciences de la santé de l’Université d’Abomey-Calavi, Mylène Ganglozoun, 23 ans, souhaite travailler dans l’action sociale et notamment dans la protection de l’enfant et l’éducation des jeunes. Elle est aveugle de naissance mais elle a été inscrite à l’école comme tous les enfants de son âge. Ses difficultés actuelles sont liées à la transcription des matières à l’université : les ouvrages ne sont pas disponibles en braille, il lui faut toujours compter sur de l’aide. Mylène n’est pas pour autant dispensée des travaux domestiques : « Je fais tout ce qu’une bonne jeune fille doit faire à son réveil en aidant ma mère. Après quoi, je me rends à l’université. »

« Mes difficultés dans les travaux de ménage résident dans le triage des graines pour préparer un repas. Une femme handicapée fait plus de dépenses qu’une femme non handicapée du fait des difficultés liées a son handicap. Faire des courses en ville, aller au marché ou solliciter les services nécessitent des coûts supplémentaires. » Mylène a visiblement dépassé son handicap, car elle participe normalement a la vie sociale. Elle a des activités paroissiales, milite dans l’association des scolaires et étudiants handicapés, elle est également la secrétaire générale ajointe de l’organisation des femmes aveugles du Bénin. Pour ce qui concerne sa vie sentimentale, elle affirme : « Je suis exigeante vis-à-vis de l’homme qui m’approche pour des raisons de curiosité ou d’aventure, car il y en a, des curieux, et je fais attention ! Mon choix portera sur un homme sociable, d’une bonne moralité et brillant au travail, qu’il soit handicapé ou non. » Concernant la journée internationale de la femme, Mylène est emplie d’amertume : « Cette journée n’est pas consacrée à la femme handicapée, mais aux autres femmes, alors que la femme handicapée a plus de problèmes de vie sociale. Voyez-vous, je veux bien avoir un bon emploi après ma formation, mais rien n’est sûr. Les personnes handicapées, hommes et femmes, ont déjà des difficultés pour passer les concours d’entrée à la fonction publique. On nous laisse nous former et on nous interdit ensuite l’emploi. C’est pourquoi je propose, pour faciliter l’insertion professionnelle, le respect d’un quota. » Et de lancer un appel a toutes les femmes handicapées afin qu’elles aillent de l’avant malgré les difficultés, et travaillent à se faire reconnaitre par les autres femmes.

Propos recueillis par Nassirou Domingo, avril 2012.

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