« Un valide croyant va frapper à la porte qui lui correspond le plus. Alors qu’au Carmel on répond ‘pas de handicapés’ ! ». La Nancéienne Jocelyne Crochet a l’indignation calme, mais ferme. Son parcours spirituel l’a conduit vers l’engagement religieux, dans un ordre contemplatif : elle veut consacrer le reste de sa vie terrestre à la prière, à la méditation, en communion avec le Dieu qu’elle adore. Mais depuis que sa vocation a été guidée par son directeur spirituel, au terme d’une démarche longue de vingt ans, elle n’a pu suivre sa voie : « Nous, les handicapés, on n’a le choix qu’entre des communautés pour handicapés, ou la solitude », constate-t-elle. De fait, les multiples interlocuteurs qu’elle a rencontrés dans le cadre de sa démarche l’ont dirigée vers les communautés spécialisées dans l’accueil des religieux handicapés, et plus précisément vers les bénédictines Soeurs de Jésus Crucifié de Brou-sur-Chantereine (Seine-et-Marne).

Durant sa recherche, Jocelyne Crochet a constaté que chaque ordre religieux décidait souverainement d’accueillir ou non les postulants. Les Carmélites ne disent pas clairement qu’elles n’acceptent pas une aveugle, mais à Verdun on lui a répondu : « La différence, c’est la différence ». Un propos qu’elle a reçu comme l’anti-message d’amour du Christ. « Déjà à son époque, commente Jocelyne Crochet, Il est allé à l’encontre de la société en côtoyant des lépreux et ceux qui étaient exclus ». Elle perçoit le rejet dont elle s’estime victime comme résultant d’une conception arriérée du handicap mais persistante qui s’exprime ainsi : « Si une personne handicapée avait une vocation, alors Dieu la guérirait ». Et elle rappelle que si le sanctuaire de Lourdes a jadis recruté une aveugle, c’est parce qu’elle y avait recouvré la vue…

« Dans ma paroisse, on me dit de ne pas en parler. J’ai rencontré l’évêque de Nancy et Toul, Monseigneur Jean-Louis Papin. J’ai senti un homme à l’écoute, qui me comprenait ». Mais il ne peut forcer un ordre religieux à s’ouvrir aux personnes handicapées, bien que le droit canon qui interdisait de les accueillir ait été réformé en 1963 par le concile Vatican II. « J’ai rencontré un diacre qui dirige les Amitiés Pouget : elles viennent en aide aux religieux perdant la vue après leurs voeux. Il m’a expliqué que les mentalités n’étaient pas ouvertes, que les soeurs sont écartées de la vie monastique et laissées à la prière. Il y a un refus d’employer des matériels spécialisés aidant les aveugles, et peu d’exemples de maintien dans les ordres dans de bonnes conditions ». Selon les informations qu’elle a recueillies, les religieuses devenues aveugles sont placées d’autorité en maisons de repos.

Face aux portes qui ne veulent s’ouvrir et aux non-dits cachant une peur, voire une aversion discriminatoire et stigmantisante, Jocelyne Crochet a décidé d’agir au grand jour. Pas pour elle : elle se sait « grillée », mais pour celles qui se découvrent la même vocation, pour qu’elles ne subissent pas les mêmes souffrances.

Laurent Lejard, septembre 2009.

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