Quand on découvre les Baladins du miroir, on croirait d’abord voir un cirque, avec un chapiteau cerné de caravanes, roulottes et camions bariolés. Mais on n’y trouve en guise de ménagerie que quelques (aimables) chiens… Les Baladins du miroir sont une troupe de théâtre forain qui s’installe, à l’instar des ménestrels du Moyen-Âge, chez qui commande l’un des spectacles de leur répertoire.

Nele Paxinou a fondé cette troupe il y a 25 ans, faisant sauter toutes les réticences, tous les obstacles : « On a commencé tout doucement, il y a 28 ans, par du théâtre de rue. Je viens du théâtre classique, j’ai une formation de comédienne. J’ai rencontré l’homme qui allait devenir mon mari et qui venait du cirque quand je cherchais un acrobate pour un spectacle. Les Baladins du miroir existent depuis 25 ans et nous avons pris l’option de faire du théâtre itinérant. Une partie de notre vie est sédentaire, en Belgique, à Thorembais-les-Béguines, un village situé entre Bruxelles et Charleroi : ce sont nos quartiers d’hiver, c’est là que l’on prépare nos spectacles, avant de partir huit ou neuf mois sur les routes. On parcourt les pays francophones, on est allé au Québec ».

Nele Paxinou se déplace en fauteuil roulant à cause d’une maladie qui, alors qu’elle avait 23 ans, a affecté sa moelle épinière et lui a laissé d’importants troubles moteurs : « Ça a stoppé net ma carrière de comédienne. J’ai décidé de me reconstruire, j’ai repris des études, et les rencontres de la vie m’ont décidé à créer ma propre compagnie. Il a fallu que je me batte avec les ministères successifs pour obtenir des subventions, pour faire vivre tout le monde. Ils se demandaient ce qu’était cette bonne femme : dans la Belgique des années 80, c’était à peine le début de l’émancipation féminine ! Parce qu’un ministre ne voulait pas me recevoir – il ne répondait même pas à mes courriers – j’ai fait en sorte de me trouver sur son chemin… et j’ai obtenu un rendez-vous. Il fallait s’imposer, ça s’est fait en douceur, mais avec ténacité, persévérance, une espèce de rage de vivre, de montrer que l’on est capable de faire quelque chose. Il fallait convaincre, sur tous les plans, les institutionnels comme les professionnels. Mais la seule question que je me suis posée, c’était ‘j’ai envie de faire ça, je le fais’ ! J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui partageaient mon rêve, et moi je suis la garante de la continuité. Parce qu’une fois que j’ai décidé de faire quelque chose, je le fais. Rien ne m’empêche de traverser les océans, ni de gravir les montagnes, mentalement. J’ai inversé le regard : souvent, la personne handicapée parle du regard que l’on porte sur elle, c’est une réalité. Mais moi je pose mon regard sur les autres, ça équilibre tout ». Alors, fait-elle bouger les autres, dans des mises en scène très dynamiques, parce qu’elle ne peut plus bouger elle-même ? « Des mauvaises langues le disent ! », sourit-elle.

Nele Paxinou ne joue plus (elle avait occasionnellement, pour dépanner la troupe, tenu des rôles de mère ou de grand-mère) mais préfère se consacrer à la production et la mise en scène : « Mon rôle, c’est d’avoir mentalement l’image de la compagnie. J’en suis la mémoire. Vous savez, moi je tire un camion derrière mon fauteuil, avec encore une roulotte accrochée à l’arrière ! Parce que ça se passe dans le mental tout ça, c’est une volonté d’aller plus loin, de continuer le chemin. C’est un cadeau du ciel. Ce n’est pas parce que je suis devenu handicapée : j’ai toujours voulu ça. Sans le handicap, je pense que mon parcours aurait été encore plus efficace, parce que quand même, il me pose des problèmes de mobilité, d’organisation ».

Lors des tournées, Nele Paxinou vit dans un camion équipé comme un camping car (sauf les fenêtres !) avec un hayon élévateur pour y accéder. Quand elle vivait encore avec son époux, ils se déplaçaient en roulotte tractée derrière un camion : « La vie quotidienne est agréable dans une roulotte, il y a de l’espace et c’est joli. Mais depuis que je suis seule, j’ai décidé de la laisser. Et je suis dehors tout le temps. Le luxe et le confort m’importent peu, ce qu’il me faut, c’est garder de l’autonomie : l’année dernière j’ai eu un accident et on m’a amputé d’une jambe. Alors maintenant il me faut un lève-personne, qui prend de la place dans le camion ».

Actuellement, la troupe représente Tristan et Yseut, sur un texte de Paul Emond : « On est remonté à la source de la légende. Avec Paul Emond, on a reconstruit un Tristan et Yseut contemporain mais qui raconte l’histoire du Moyen-Âge et qui plonge le spectateur dans l’univers de notre vision de cette époque, de ce que l’on en sait à travers les enluminures et les histoires que l’on nous a racontées. L’être humain est le même à travers l’histoire, avec ses pulsions d’amour, de haine, de guerre, de mort. Une histoire d’amour merveilleuse peut toujours parler aux gens »…

Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2008.

Les Baladins du Miroir se produiront à Villeneuve-lez-Avignon (Vaucluse) dans le cadre du festival Villeneuve en scène du 4 au 21 juillet 2008. Les spectateurs sont conviés, à la fin de chaque représentation, à partager une bière (belge) avec la troupe. Par ailleurs, Nele Paxinou raconte l’histoire des Baladins du miroir dans « Ne laissez pas mourir vos rêves » paru chez Maelstrom, en vente sur place et auprès de l’éditeur.

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