Question : Quel bilan dressez vous de l’action de la Délégation interministérielle à la stratégie nationale pour les Troubles du NeuroDéveloppement ?

Étienne Pot : La Délégation interministérielle porte la stratégie nationale 2023-2027. Elle comporte 81 mesures et 6 engagements, pour la recherche, la scolarité, l’accompagnement des adolescents et des jeunes adultes, le repérage précoce et diagnostic, l’information des publics.

Extrait de la cartographie des Plateformes de Coordination et d'Orientation

La Délégation pilote directement les Plateformes de Coordination et d’Orientation (PCO) qui sont des structures diagnostiques pour tous les enfants de 0 à 6 ans, présentes dans tous les départements [la cartographie officielle montre toutefois que quelques-uns n’en ont pas NDLR]. Elles activent des interventions très précoces de psychomotriciens, ergothérapeutes, psychologues, sans reste à charge pendant deux ans pour les familles ; on va les développer pour les enfants de 7 à 12 ans. On pilote aussi les Centres de Ressources Autisme chargés des diagnostics complexes, et conjointement avec le ministère de l’Éducation nationale, les unités spécialisées ainsi que l’autorégulation à l’école qu’on déploie progressivement dans les établissements scolaires concernés où des travailleurs sociaux interviennent au sein des classes ordinaires. Concernant la recherche, on pilote 6 centres d’excellence qui sont le fer de lance de la recherche scientifique dans le champ des troubles du neurodéveloppement, et on finance différents projets. On pilote aussi les unités renforcées pour troubles du spectre de l’autisme sévère, conçues pour 6 personnes avec un coût annuel à la place de 230.000€, avec la perspective de passer de 27 unités à 40 en 2027 ; j’ai constaté un ralentissement dans leur ouverture et j’ai souhaité qu’on révise le cahier des charges pour bien répondre aux besoins.

Question : Pour autant, il reste encore de nombreuses difficultés, dont l’attente considérée comme trop longue par les familles, et surtout la nécessité toujours très présente de passer par le secteur libéral pour faire établir des bilans. Avec, en outre, une nouvelle qui vient de tomber : la Sécurité Sociale ne veut plus rembourser certains soins, dont l’orthophonie, dès lors qu’il y a une prise en charge en centre médico-psychologique…

Séance d'ortophonie avec un enfant ©freepik.com

Étienne Pot : Sur ce point très précis, j’ai signalé à l’Assurance Maladie que j’étais très surpris de cette décision, qui en fait n’est pas nouvelle : c’était déjà la cas, mais avec une dérogation permanente totalement informelle, depuis des années. J’ai exprimé à l’Assurance Maladie que je ne trouvais pas que ce soit la décision la plus heureuse pour s’assurer qu’elle ne paye pas des soins orthophoniques deux fois ; au-delà de ça, je considère qu’un conventionnement et les éventuels contrôles ne doivent pas venir alourdir la charge administrative à l’heure où nous manquons d’orthophonistes. L’Assurance Maladie m’a répondu qu’elle se repencherait sur le sujet afin de trouver une solution dans les prochaines semaines.

Question : Et concernant la charge financière qui pèse sur les familles quand elles doivent faire réaliser des bilans en libéral ?

Étienne Pot : Une des premières réponses, c’est la prise en charge par les PCO. Ce qui est sûr, c’est qu’il continue à y avoir des files d’attente importantes, et des familles qui ont besoin d’aller voir des professionnels en libéral. Toute la question qui se pose dans notre pays, c’est la transition entre une prise en charge assurée par l’État avec les PCO et la bascule sur des droits MDPH qui donnent droit au remboursement d’un certain nombre d’interventions. Aujourd’hui, on a des professionnels en libéral qui de toute façon coûtent plus cher et représentent un reste à charge pour les familles.

Le CAMSP et CMPP des PEP d'Auxerre, dans l'Yonne

Côté État, on répond au travers des PCO et aussi avec les Centres d’action médico sociaux précoces (CAMSP) et les Centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) pour lesquels nous devons avoir un regard éclairé sur leur fonctionnement : un nombre trop important de ces structures ne s’inscrivent pas dans les recommandations de bonnes pratiques alors qu’elles représentent une solution d’accompagnement sans reste à charge pour les familles. Outre l’accessibilité financière, il y a aussi un sujet d’efficacité de l’ensemble des structures qui concourent à l’accompagnement des TND. Il va falloir qu’on harmonise ça, c’est le sens des travaux que mène la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour élaborer un nouveau cahier des charges pour les CAMSP et les CMPP.

Question : Le milieu psychanalytique est toujours en embuscade et, récemment, le président du pays le plus puissant au monde vient nous dire que l’autisme est une maladie qui s’attrape en prenant un médicament ou en se faisant vacciner. Comment arrivez-vous à combattre des fausses informations qui sont fortement relayées ?

Étienne Pot : Concernant la psychanalyse, je ne suis pas sûr que le dernier livre de Sébastien Ponnou [que nous ne citerons pas éviter toute publicité NDLR] soit fortement relayé en dehors de ce milieu. J’ai fait le choix de nommer les choses : la psychanalyse n’a pas sa place dans les troubles du neurodéveloppement, et je pèse mes mots.

Sigmund Freud, par Max Halberstadt, et Jacques Lacan ©The Australian National University

Ça génère beaucoup de remous, je l’assume parfaitement et rappelle qu’en 2012 la Haute Autorité de Santé disait déjà que c’était une approche non consensuelle. Sa recommandation actualisée sur l’autisme chez l’enfant, soumise à consultation publique cet été, sera disponible à la fin de l’année et dit que la psychanalyse n’est pas indiquée dans le champ de l’autisme. Il y a un moment où ça suffit : elle n’a jamais montré ses preuves, ce sont des pratiques qui ne s’entendent pas. Que des personnes bien portantes y trouvent un intérêt intellectuel et aient envie de lire Freud ou Lacan m’importe peu, ce qui compte pour moi, ce que je ne veux plus voir dans ce pays ce sont des structures qui font de la psychanalyse et pas les bonnes pratiques à côté. J’ai émis des séries de signalements à destination des Agences Régionales de Santé, je continuerai à le faire sur toutes les structures sur lesquelles je suis alerté par des familles ou des associations.

Question : Et quid de « l’autisme une maladie qui s’attrape en prenant du paracétamol ou en se faisant vacciner » ?

Étienne Pot : On a réagi, et l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament le fera évidemment aussi. La difficulté sur ce sujet, c’est que des études montrent la corrélation entre l’exposition au paracétamol en période anténatale et l’autisme, mais encore une fois ce sont des études très exploratoires aux résultats très hétérogènes. L’étude que cite le président des États-Unis montre une corrélation, mais pas d’effet de causalité.

Vaccination d'une fillette ©freepik.com

Toute notre difficulté dans le dialogue et l’information publique est d’expliquer qu’une corrélation n’est pas une causalité. Je le redis fermement ici : il n’y a aucune étude montrant une quelconque causalité entre l’exposition au paracétamol et l’apparition de l’autisme. Cette discussion, y compris pour les vaccins, elle est autour du rapport à la science des citoyens et des personnes. Ma conviction, c’est que les Français comme l’ensemble des habitants des autres pays ne sont pas stupides, ils sont capables de comprendre les nuances dans la science. Aucune étude ne permet d’affirmer que la vaccination provoque l’autisme. Par contre, régulièrement, on fait des études pour vérifier que la vaccination ne puisse pas générer tel ou tel effet indésirable, ça fait partie de l’histoire de la science. Donc il ne faut pas non plus balayer d’un revers de main le fait qu’on continue à rechercher, à être attentif. Par contre, je rappelle que ce qui est au coeur de la science, c’est la balance bénéfice-risque. Donc pour l’instant, premièrement la vaccination ne provoque ni de près ni de loin l’autisme, deuxièmement la vaccination peut avoir des effets indésirables qui par ailleurs sont connus. Le bénéfice de la vaccination est tel, dans le monde, que globalement il faut arrêter de la diaboliser. La polio a disparu du monde entier grâce à la vaccination et les générations qui l’ont connue se rappellent bien de ça.

Question : Le Premier ministre a annoncé le 19 septembre la suppression générale des délégations ministérielles et interministérielles sauf exception, quelle est la situation de la Délégation interministérielle aux troubles du neurodéveloppement ?

Étienne Pot : Je suis attentif à ce que cette stratégie nationale voulue par le président de la République puisse ne pas disparaître. Je suis en lien extrêmement fréquent, j’ai été nommé par décret du président de la République et je dépends des services du Premier ministre, je travaille en parfaite transparence avec ses services, avec son cabinet actuel comme avec le président la République et son équipe, et donc je leur transmets aussi en transparence les avancées de cette stratégie nationale comme ce qui fonctionne moins bien. Je m’en remets au Premier ministre et au président de la République pour savoir ce qu’ils pensent être le mieux pour cette stratégie nationale. Je leur ai exposé le fait que cette stratégie nationale était à mes yeux indispensable, poursuivait son déploiement et justifiait un certain nombre d’avancées qui, à mon sens, légitiment son existence. Je suis relativement serein.

Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2025.

Nota Bene : Deux autres délégations sont concernées par l'oukase du Premier ministre, toutes deux traitant de l'accessibilité et faisant potentiellement double emploi. Il est fort probable que la mission « État efficace » propose d'en fusionner les missions, et d'en supprimer une. Invité à s'exprimer, le Délégué ministériel à l'accessibilité, Gaël Le Bourgeois, n'a « pas de commentaire à faire sur cette annonce du Premier ministre ni sur les décisions interministérielles ou des services de Premier ministre. » Et son vaste ministère de tutelle répond de même. Quant à la Déléguée Interministérielle à l'Accessibilité, elle a préféré se mettre aux abonnés absents.
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