Un malaise alarmant, une agression, un accident, comment des personnes Sourdes victimes ou témoins peuvent-elles agir ? En appelant les secours par l’intermédiaire du service adapté, le 114, via son application mobile sur smartphone. Par SMS ou visio en Langue des Signes Française sur smartphone ou ordinateur, elles peuvent contacter un agent de régulation de ce Centre National Relais (CNR) qui assure l’interface avec les services concernés par l’urgence : le Service d’aide médicale urgente (SAMU), la police et gendarmerie, ou les pompiers. Comme le 114 fonctionne tous les jours 24 heures sur 24 avec au moins deux agents, l’un Sourd et l’autre entendant, l’appelant se fait parfaitement comprendre. Les personnes sourdaveugles ou aphasiques peuvent également utiliser le 114, l’appli mobile dite de « conversation totale » est conçu pour accommoder une plage tactile braille, écouter la parole des appelants ou lire leurs textos.

Un service d’ampleur nationale

Préparer la relation avec le 114

« En 2023, on a traité 28.165 appels, précise Eric Vial, coordinateur. Parmi ces appels, 7.558 correspondaient à une situation d’urgence, soit une vingtaine par jour. La moitié concernait un problème médical, un tiers la police et la gendarmerie, le reste les pompiers. » Le 114 assure l’interface entre l’appelant sourd, malentendant, sourdaveugle ou aphasique pour déterminer quel service local d’urgence doit être contacté au moyen de numéros d’appel prioritaire. Avec, lors d’appels en visio, un avantage indéniable : les secouristes voient ce qui se passe, comme l’explique par deux exemples le docteur Véronique Equy, cheffe de service : « Une femme est en train d’accoucher, l’appli permet de voir cette femme, de lui parler et d’apprécier son état. Une dame appelle pour une douleur thoracique pendant qu’elle étend son linge, sans urgence vitale. L’agent a accès à des données bien plus riches, il peut apprécier l’environnement, conseiller sur l’attitude à tenir. Ils peuvent demander « Montrez moi la plaie, le feu, etc. » On s’appuie sur la compétence des personnels qui interprètent la situation. On centre d’ailleurs notre communication sur l’appli mobile, plus riche en informations que le SMS. » L’intervention du 114 s’arrête toutefois à l’arrivée des secours, qui prennent le relais, sans fournir au CNR un retour d’informations permettant d’apprécier le caractère vital des appels.

« On n’a pas les statistiques de ce qui est régulé par le SAMU et nous permettant d’apprécier les urgences vitales », ajoute le docteur Véronique Equy. Elle n’a pas remarqué de spécificités sur les heures et jours d’appels, semblables à ceux des autres centres d’appels. « On relève 14% de faux appels ou inappropriés, complète Eric Vial. Les demandes non urgentes, pour un serrurier par exemple, représentent 18% des appels. Là, on va aider et accompagner les appelants pour trouver une solution. » Côté modes de communication, le SMS représente 70% des appels et la visio 30 à 40% dont 20% en Langue des Signes Française et 10% en français facilité. Parmi les appelants Sourds, 55% communiquent en LSF et 35% par SMS, via l’appli mobile. Quand au fax, il ne reçoit plus d’appel bien que cet appareil soit toujours opérationnel au 114. Ce numéro connaît également d’autres usages, dont le signalement discret par SMS d’une situation d’urgence, comme des violences conjugales ainsi que cela a été expérimenté pendant les confinements dus à la pandémie de Covid 19.

Deux répondantes du 114

Pendant ces périodes particulières, le 114 a répondu sans faille du fait de la diversité des modes de communication, un agent pouvant traiter par SMS plusieurs conversations en même temps, le service n’a jamais été saturé, même pendant les émeutes de juin 2023. « On est le seul service d’urgence à répondre et communiquer par SMS, complète Eric Vial. Les personnes aphasiques se sont saisies du 114 puisque certaines ne sont pas en capacité de téléphoner, on a élaboré un protocole en collaboration avec leur Fédération nationale. Cela a nécessité une importante formation des agents, pour utiliser les pictogrammes de communication alternative. »

Combler le déficit de notoriété

Certes, cela prend son temps, mais des services de secours commencent à s’intéresser au contact avec des personnes handicapées, apprécie Eric Vial : « On est en relation avec les pompiers du Calvados [qui ont élaboré un protocole d’intervention auprès de victimes sourdes], on collabore avec eux, on teste leurs supports. Des services départementaux de police nous sollicitent pour s’informer sur notre rôle. On leur donne des pistes de communication pour faciliter celle-ci, parler bien en face, enlever un masque, etc. » Cette volonté des secouristes de mieux communiquer est comme une continuité du 114 pendant le secours.

Le 114 est cité parmi les numéros d'urgence par seulement 3% des répondants

« Les policiers des centres d’appels connaissent le 114, les pompiers aussi, mais les policiers et agents de terrain pas forcément, poursuit Eric Vial. On effectue des actions d’information auprès d’associations locales, avec un conférencier sourd 15 à 20 fois par an. On intervient dans des organismes de formation sanitaire, on participe à des festivals et salons professionnels. » Toutefois, le 114 demeure mal connu du public concerné comme en témoigne le Baromètre de notoriété du CNR 114 qui vient d’être publié : sur 1.000 personnes interrogées, 3% citent spontanément le 114, la proportion n’atteignant de 6% des répondants directement concernés, de leurs parents et proches.

76% des publics potentiels du 114 ne se sentent pas concernés par ce service d'appel d'urgence

Et quand on les aide en citant les numéros, 18% des répondants identifient le 114, autant parmi les personnes concernées et à peine plus pour leur entourage. Le mode de contact est mal connu, de même que la disponibilité, cette méconnaissance conduisant les 3/4 des personnes concernées et de leur entourage à pouvoir se « débrouiller sans demander de l’aide. » Et finalement, entre 77% et 64% des 62 utilisateurs du 114 interrogés affichent leur satisfaction du service. Il n’en reste pas moins que 11 ans après sa création, ce centre relais des appels d’urgence doit encore convaincre ses propres usagers potentiels de son utilité.

Laurent Lejard, février 2024.

Avec le soutien de la Fédération Française de l’Accessibilité

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