Question : Média’Pi! est un média vidéo diffusé uniquement en LSF, sans version sonore, ce qui donne l’impression d’être un média à destination exclusive des Sourds signants. Pourquoi avoir choisi cette orientation, qui peut aussi apparaître comme une fermeture ?

Sarah Massiah

Sarah Massiah : Média’Pi! est bilingue. Il y a toujours de la langue des signes et du sous-titrage, le français écrit est toujours présent. On peut soit suivre une vidéo avec du sous-titrage ou alors une vidéo qui est en langue des signes et le texte est associé à la vidéo. La vidéo prend trois formes différentes. La première, c’est de l’actualité quotidienne avec un présentateur ou une présentatrice en langue des signes, sous-titrage et texte, deux fois par jour au minimum ; elle traite l’actualité générale, politique, de société, et les actus particulières au monde des Sourds dont les sports. La seconde, ce sont des reportages effectués par des journalistes qui vont sur place pour des sujets variés, des événements, relatés en LSF et sous-titrage. La troisième forme est un peu différente, ce sont des articles qui sont écrits par deux journalistes pigistes auxquels on commande des sujets variés ; l’un travaille plutôt sur les sciences, l’autre sur la politique et l’histoire. Ils nous envoient leurs textes à l’avance, on fait un travail de re-vérification puis une entreprise les traduit en langue des signes. Ils sont diffusés en LSF et texte écrit. Nos abonnés ont des niveaux très variés en français écrit et langue des signes, il est important pour nous de diffuser les deux. Nous n’avons pas de son, c’est un choix budgétaire parce que, dans l’équipe, la majorité sont des personnes sourdes, on ne peut donc pas contrôler la qualité du son et il faudrait embaucher quelqu’un pour cela. C’est un souhait pour l’avenir.

Question : Comment vos journalistes peuvent-ils fournir de l’information en LSF alors que les événements et conférences de presse sont organisés sans interprète en langue des signes ?

Sarah Massiah : Pour traiter l’actualité générale, on utilise d’autres médias pour rassembler les informations qu’on peut recevoir, et on va informer le public source sur ces actualités générales. Quand on fait des actus pi sourdes, particulières aux Sourds, c’est la journaliste qui, dans son réseau de personnes sourdes, reprend les actualités, et si on est au courant de certaines choses, on peut se déplacer, aller sur place. Il peut arriver pour des actualités générales qu’on assiste à une conférence de presse, ou rencontre un personnage politique ou quelqu’un d’autre avec l’un de nos interprètes.

Question : Les Sourds ont peu de moyens d’information, la LSF est très peu présente à la télévision. Est-ce que Média’Pi! Bénéficie d’aides publiques pour réaliser sa mission d’information qui pallie les carences ?

Sarah Massiah : L’accessibilité de l’information est un gros souci. Elle est très minime, avec des exceptions comme le journal de BFM TV accessible avec un interprète, mais de manière très brève sur l’ensemble de la journée. Quand le président Macron prend la parole, des interprètes sont présents mais ça ne suffit pas, évidemment. On est une entreprise de presse via un site Internet, et nous visons l’autonomie financière avec les abonnements des particuliers et des professionnels, mais actuellement cet objectif n’est pas atteint. Nous compensons par des subventions pour contribuer à la production, au développement du site, à l’amélioration du service aux clients, etc. Et nous bénéficions des aides au poste en tant qu’Entreprise Adaptée et du financement par l’Agefiph des frais d’interprètes.

Question : L’une des difficultés de l’information dans le milieu sourd tient à la déformation du message par la transmission orale de l’un à l’autre. Et sur les réseaux sociaux, la désinformation est très présente. Vos abonnés font-ils davantage confiance à Média’Pi! qu’aux réseaux sociaux ?

Sarah Massiah : En fait, pour moi les deux sont complémentaires parce que les Sourds ont soif d’information, et qu’il y a beaucoup d’obstacles. On passe par les associations, les familles, donc il y a du relais. Et évidemment un risque de déformation de cette information ; c’est vrai que les gens passent beaucoup par Facebook, plus que par Instagram ou TikTok, parce que sur Facebook on peut poster des vidéos dans les commentaires. Je ne peux pas parler à la place du public mais de ce que j’en sais, quand une information vient de Média’Pi! elle est jugée sérieuse et fiable. Sur les groupes Facebook, c’est plus un échange et de la discussion. Pour les gens, ça fait quand même 5 ans que nous existons, je crois que Média’Pi! a une reconnaissance de qualité d’information et de journalisme.

Propos recueillis par Laurent Lejard, en LSF traduite par Sandra Faure, juin 2023.

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