Depuis le début d’épidémie de coronavirus Covid-19, le problème a été identifié dans tous les pays : le port obligatoire d’un masque de protection pour se prémunir de la contagion empêche de lire sur les lèvres et altère la compréhension des mots-signes. Et pour rétablir une communication acceptable, des masques partiellement ou totalement transparents ont été élaborés par des couturières, des associations, des particuliers dans plusieurs pays, dont le Maroc où un modèle créé par l’association Les Sourdoués vient d’être certifié par l’Institut Marocain de Normalisation. En France, on en n’est pas encore là, mais les initiatives sont multiples.

En test à Grenoble et en Bretagne

La ville de Grenoble soutient l’expérimentation d’un modèle élaboré par une adjointe au maire couturière, Kheira Capdedon : « Dès qu’il y a eu le confinement, j’ai fabriqué des masques en tissu, et dans la commission handicap de la ville j’ai réfléchi à la question quand des participants malentendants en ont parlé. » Elle s’est rappelé son CAP couture de 1987 et a créé différents prototypes pour parvenir à un modèle expérimental : « Le but de notre action est d’arriver à une homologation, y compris pour un usage dans la petite enfance pour rassurer les petits par les mimiques. Ce masque peut répondre à un plus grand nombre d’usages. J’ai eu un retour positif d’orthophonistes, de mamans qui en demandent. » Elle a fabriqué une cinquantaine de masques diffusés lors d’un test dans le hall de la mairie, et le maire écolo, Eric Piolle, s’est prêté à l’expérimentation.

Autre modèle, celui de l’association Masques à Rade, réalisé à Brest (Finistère) par des couturières. « On va essayer de faire homologuer le plastique des masques, explique Rozenn Fichou, vice-présidente. Mais on ne sait pas à qui s’adresser. On a vu qu’une visière avait été homologuée, mais on ne sait pas par qui. » Son masque Marozz composé d’une bande de PVC transparent et de chutes de tissu de coton ressemble davantage à une visière, un modèle fusion qui est en recherche de fabrication. Comme pour le modèle grenoblois, aucune estimation du coût industriel de fabrication n’est encore possible, et donc de prix de vente. A cet égard, Yann Griset, président du Bucodes Surdifrance, estime que « la question du coût est exactement la même que pour les masques opaques. Celui-ci est supporté par l’entreprise, par la structure publique ou par l’État, il doit donc en être de même pour les masques transparents. »

Anne-Marie Choupin, Eric Piolle, Kheira Capdepon, Elisabeth Palleau testent le masque grenoblois

« L’expérimentation a commencé courant avril, précise Hélène Halot, directrice adjointe de l’Urapeda Bretagne. L’une de nos collègues était en liaison avec une couturière, le besoin des sourds est apparu pour leur communication avec des entendants. Des Marozz ont été donnés à des professionnels de l’Urapeda, ils en sont très contents. On avait expérimenté la visière, mais les mains viennent taper contre, le masque transparent offre un confort d’usage supérieur. L’avantage de ce masque visière est la largueur de la fenêtre qui donne une bonne visibilité du visage, il n’y a presque pas de tissu. » La conception du modèle, très enveloppant, a réglé l’obstacle de la buée qui ne se forme pas, ce qui a également son importance pour les porteurs de lunettes. Ils ne se lavent pas, mais doivent être nettoyés avec un produit virucide. « Pour l’instant, poursuit Hélène Halot, aucun masque n’est détérioré. Nos professionnels en ont plusieurs chacun. » Et elle déplore l’absence d’intérêt des tutelles, Conseil Départemental et Agence Régionale de Santé, bien que ces administrations aient été interpellées par Masques à Rade : « Dommage que personne ne se saisisse des initiatives », soupire Hélène Halot.

Vers une homologation ?


« On a été contactés en évoquant des initiatives, précise Olivier Gibert, porte-parole de l’Association française de normalisation (Afnor). Il n’y pas actuellement de démarches de publication d’une adaptation du masque barrière parce qu’on n’a pas eu le temps de le faire. »  L’Afnor relève que l’efficacité de masques transparents nécessite qu’ils soient utilisés par tous, s’inquiète du risque d’étanchéité des coutures autour de la zone plastique et de leur fragilité, ainsi que d’une filtration de l’air reportée sur les parties textiles. « Ce sont les premières questions que s’est posé un groupe de travail à l’étude de documents, il ne s’est pas formellement réuni sur les masques barrières plastique. » Si l’Afnor a publié le 27 mars dernier un guide de réalisation d’un masque barrière en tissu élaboré dans le délai record d’une semaine, l’organisme s’oriente plutôt sur des visières pour la facilitation de la communication visuelle : « Elle atteint le même objectif en complément des autres gestes barrière », poursuit Olivier Gibert qui ajoute « un projet avait été engagé il y a un mois sur les visières, interrompu pour cause de désaccord du groupe de travail. »

Actuellement, deux organismes d’Etat ont été saisis de demandes d’homologations par le Comité Interministériel du Handicap, la Délégation Générale à l’Armement du ministère des Armées et la Direction Générale des Entreprises du ministère de l’Economie et des finances, mais on ne connaît pas les modèles soumis à leur examen. Le Mouvement Des Sourds de France a pourtant relaté la réunion plénière du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées du 4 mai : « Les homologations d’un type de masque transparent et d’un type de visière sont en cours. ainsi que la recherche de filières de production. 100.000 visières (et/ou masques ?) seront produits au cours du mois, annonce d’une homologation de deux masques avec fenêtre attendue cette semaine ». En fait, rien. Interrogé sur son appui aux actions en cours, le président du CNCPH, Jérémie Boroy, s’est réfugié dans le silence après avoir mi-mai déclaré militer pour une « homologation rapide d’équipements alternatifs ».

« Nous agissons au niveau national pour réclamer des masques transparents permettant la lecture labiale, reprend Yann Griset. Ces masques ne sont pas à destination des personnes malentendantes ou sourdes mais de leurs interlocuteurs que ce soit au sein des administrations publiques, des établissements de santé tel que les hôpitaux, des établissements accueillant les seniors, fortement touché par la presbyacousie, mais aussi les établissements privés comme les commerces. » Le Bucodes a reçu de nombreuses remontées d’utilisation des masques artisanaux non homologués, témoignant d’une communication plus ou moins facilitée en fonction des modèles, mais il ne veut pas prendre parti pour un modèle tant qu’il n’y a pas d’homologation. Une question déjà tranchée par la Fédération Nationale des Sourds de France :  » Nous ne sommes pas favorables aux masques à fenêtre, nous optons plus pour un masque 100% transparent pour une visibilité complète du visage », justifie-t-elle. Dans un communiqué du 14 mai dernier, elle recommandait « plutôt que la population soit sensibilisée à la surdité et apprenne les bases de la LSF [Langue des Signes Française]. » Sans vouloir raviver la guéguerre entre Sourds et malentendants, elle a rappelé que la lecture labiale demeure un palliatif imparfait et revendique « que chacun fasse un effort de communication visuelle : des gestes simples à la langue des signes, tout est accessible par tous ! »

Laurent Lejard, juin 2020. 

PS du vendredi 19 juin : la Secrétaire générale du Comité Interministériel du Handicap, Céline Poulet, précise que plusieurs prototypes de masques à fenêtres ont été testés, d’abord par les services de Direction Générale des Entreprises sur leur durabilité et entretien, puis par la Direction Générale de l’Armement sous l’angle de leur sécurité sanitaire. Elle précise que ces services de l’Etat ne délivrent pas d’homologation, mais attestent de la conformité aux protocoles définis par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé. Or, ces protocoles ne concernent que le tissu et il est donc nécessaire de les faire évoluer. Elle affirme la volonté de la DGA de parvenir à un résultat positif par un dialogue avec les concepteurs des prototypes de masques transparents en cours de test, et estime qu’au moins un modèle pourrait prochainement être classé parmi les masques à usage non médical. « Tout le monde a compris l’intérêt de ces masques pour la population, il faut qu’on aille jusqu’au bout, et demain si on a besoin de masques on sera opérationnel », conclut Céline Poulet.

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