La Toulousaine Janick Leclair, 38 ans, pensait avoir accompli le plus difficile en obtenant en 2015 le Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré (Capes) en lettres modernes. Sourde depuis une méningite dans l’enfance, elle lit sur les lèvres, est implantée cochléaire et oralise. Elle avait alors décliné la proposition d’aménagement des épreuves du Capes, estimant que son handicap était compensé, et sa réussite lui a donné raison. Elle avait déjà une expérience acquise : après avoir réussi en 2014 le concours de documentaliste, elle avait travaillé dans un centre de documentation et d’information d’un lycée agricole, et enseignait quatre heures par semaine à des élèves. Logiquement, elle devait prendre en septembre 2016 un poste de professeur de français dans un lycée de Toulouse (Haute-Garonne), mais n’a finalement pu faire sa rentrée : elle avait demandé des aménagements comme en bénéficient bien d’autres professeurs handicapés moteurs ou aveugles, en réponse le médecin de prévention l’a déclarée inapte !

Alors Janick Leclair a formé un recours, un médecin-expert l’a reçue et déclarée parfaitement apte. Résultat, deux avis médicaux contradictoires qu’un comité médical, qui dépend du ministère des Affaires sociales, doit bientôt départager. Craignant l’enlisement de sa situation et la décision, Janick Leclair a alerté la presse, une avalanche d’articles à charge contre l’Education Nationale a été publiée : déçue de cette approche, elle ne veut plus parler aux journalistes. C’est donc le délégué ministériel à l’emploi des personnes handicapées au ministère de l’Education Nationale, Philippe van den Herreweghe, qui explique la situation : « Elle a eu envie d’en parler dans la presse, toute la presse l’a appelée et elle a été débordée, seul un article tient compte de tous les éléments. » Philippe van den Herreweghe est intervenu auprès du secrétariat général de l’Académie de Toulouse : « Le Secrétaire Général l’a reçue et a été impressionné par sa capacité de communication, il a demandé l’avis d’un médecin qui est positif. Il lui a proposé un stage face élèves avec tous les aménagements nécessaires, accompagnée par un autre enseignant, elle est rémunérée normalement. Maintenant, l’Académie attend la décision du comité médical départemental, mais avec des avis contradictoires, Janick a stressé d’où son appel à la presse. Elle a écrit à l’Académie pour s’expliquer, exprimer qu’elle était un peu déçue. »

A cet égard, le cabinet de la ministre de l’Éducation Nationale évacue l’un des arguments assénés par certains journalistes : l’inexistence de règles d’aménagements pour les enseignants sourds à la différence de ceux qui sont handicapés moteurs ou visuels : « Il convient de souligner qu’il n’existe pas de réglementation différenciée selon les types de handicap. A la rentrée 2015, 556 personnes en situation de handicap, dont 489 enseignants, bénéficiaient d’une assistance humaine. Tous les handicaps, y compris la surdité, étaient concernés, même si les deux plus représentés sont le handicap visuel (33%) et le handicap moteur (32%). » Cela ne lève pas toutes les difficultés, comme celles vécues par Julien Hugelé, professeur paraplégique de physique-chimie, qui demandait à enseigner à temps partiel avec une rémunération à temps plein. « Il y a deux questions qu’il faut se poser, poursuit Philippe van den Herreweghe. La première, la Fonction Publique comme le secteur privé ne sont pas organisés pour proposer un mi-temps avec compensation du reste salarial, la seconde nécessite que le prochain gouvernement traite le dossier du revenu d’existence des personnes handicapées. » Il pourrait alors compléter un salaire à temps partiel quand un travailleur handicapé, quel que soit son statut, ne peut tenir au long cours qu’un temps partiel.

Mais comment le financer ? Le Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP) ne pourra plus payer les aménagements et assistants des enseignants handicapés si la règle comptable demandée par la Cour des Comptes est appliquée (lire l’actualité du 2 février 2017). De plus, les ressources des deux Fonds, FIPHFP et Agefiph, sont en baisse constante, les obligeant à réduire leur programme d’aides. Comme solution est évoquée la fusion des Fonds, voire une refondation de l’obligation d’emploi. « Le handicap coûte cher, reprend Philippe van der Herreweghe, mais il coûte d’abord cher à la personne handicapée. Elle se fiche de la fusion des Fonds pour l’insertion professionnelle, ce qui lui importe c’est d’avoir un emploi ! Les Fonds ont été créés pour que le chômage des travailleurs handicapés baisse, en fait il augmente parce que les entreprises ne jouent pas le jeu. Et dans l’Education Nationale, le recrutement de travailleurs handicapés est de 0,06%, c’est-à-dire zéro avec les départs en retraite. Il est temps de relever l’obligation d’emploi à 8%, en minorant le déclaratif et valorisant le recrutement dans le calcul du quota. » Sourds ou pas, tous les futurs enseignants handicapés sont concernés.

Laurent Lejard, mars 2017.


Post Scriptum : Philippe van den Herreweghe a annoncé son départ en retraite le 31 mars prochain. Son successeur n’est pas nommé au moment de la publication de cet article, et d’ailleurs, y en aura-t-il un ?

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