Uber Canada dit « Bienvenue aux Sourds » ! Dans ce pays, la multinationale américaine du Véhicule de Tourisme avec Chauffeur (VTC) accepte d’affilier des conducteurs sourds s’exprimant en langue des signes, l’application de réservation de courses leur étant adaptée : un signal lumineux double l’alerte sonore informant le chauffeur d’une demande dans sa proximité; en cas d’acceptation de la course, le client est avisé que son chauffeur sera sourd et est libre de refuser. Ce qui n’est pas encore arrivé à Benoit Landry, quinquagénaire né sourd qui exerce depuis un an à Montréal ainsi qu’il le relate dans le Journal de Montréal du 25 mai 2016. Le client français d’un VTC montréalais conduit par un conducteur sourd qui ne s’exprimait qu’en langue des signes rapporte d’ailleurs cette expérience sur un blog, relatant la conversation qu’ils ont eue en chemin. L’adaptation Uber existe également au Kenya, comme le révélait Voice of America le 12 août 2015 : l’association kenyane des Sourds veut ainsi favoriser l’accès à la profession de taxi dans un pays où la mendicité constitue fréquemment l’unique mode de survie des personnes handicapées.

Qu’en est-il en France ? Les personnes sourdes ont le droit de passer le permis de conduire moto (A) et voiture (B) depuis août 1959. Toutefois, le passage de l’examen peut être subordonné à un avis médical spécialisé quel que soit le niveau de déficience auditive, ce qui laisse une part d’incertitude mais ne constitue pas une incompatibilité absolue. Ce n’est pas la Délégation interministérielle à la sécurité routière, un service du très sérieux ministère de l’Intérieur, qui lèvera cette incertitude : sa rubrique Handicap et conduite est obsolète, elle renvoie à un arrêté abrogé depuis plus de six mois par un texte plus précis, publié le 29 décembre 2015. Et pourtant, « Il n’y a pas d’impossibilité pour un Sourd d’être chauffeur de taxi, affirme-t-on à la Fédération Nationale Du Taxi (FNDT), il suffit d’avoir le permis ». Sauf que la réglementation stipule le contraire : l’incompatibilité est absolue en cas de « déficience auditive sévère ou profonde avec peu ou pas de gain prothétique », et lorsque la déficience est faible ou moyenne, après appareillage, l’aptitude est subordonnée à l’obligation d’entendre une voix chuchotée à un mètre de distance, ou cinq mètres pour une voix haute.

Cette réglementation s’applique également aux véhicules dits « de remise », dont font partie les VTC. Côté taxis, aucune organisation professionnelle consultée, qu’ils soient taxis salariés (CGT) ou artisans (Fédération Nationale des Artisans du Taxi, Union Nationale des Taxis) n’est en mesure d’identifier un conducteur sourd, cet oiseau est tellement rare qu’il n’existe pas ! Côté VTC, rien non plus chez Allocab ou LeCab. Chez Uber, l’appli n’attend qu’une demande pour être adaptée : « Elle est principalement développée depuis San Francisco, en fonction des besoins de chaque pays, précise Grégoire Kopp, directeur de la communication. Donc une fois que des fonctionnalités existent dans un pays, elles peuvent être activées dans un autre si besoin. » Mais cette société reconnaît ne faire travailler aucun conducteur sourd, ses chauffeurs (tous auto-entrepreneurs) devant passer un examen de compétence et être déclarés médicalement aptes par un médecin agréé pour obtenir une carte professionnelle auprès de la Préfecture de leur département. Là, ils tombent sous le coup de l’incompatibilité médicale de la surdité avec la conduite de personnes à titre onéreux. Les Sourds français qui voudraient faire carrière dans le VTC n’ont plus qu’à s’expatrier ou attendre un hypothétique changement…

Laurent Lejard, juin 2016.

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