L’histoire : une fillette sourde, Shoko Nishimiya, intègre en cours d’année la classe de CM2 dans laquelle Shoya Ishida fait régner sa loi. Leader de la classe, il entraine ses copains dans des défis risqués, livré à lui-même, sans père, entre sa mère coiffeuse qui travaille toute la journée et sa soeur qui multiplie les flirts avec des garçons. Pourtant, il est d’abord troublé par Shoko parce qu’il ne l’a comprend pas, puis son instinct dominateur le conduit à se moquer d’elle, à l’humilier, la brutaliser, briser ses appareils auditifs. Jusqu’à ce que le directeur de l’école s’en mêle et que tous les élèves se retournent contre Shoya sans pour autant cesser de harceler Shoko que sa mère finit par retirer de l’école. Devenu lycéen, Shoya a évolué dans la solitude, les brimades qu’il a subies lui donnent un désir de mort, mais avant d’en finir, il veut retrouver Shoko pour comprendre pourquoi elle l’a soutenue en secret quand tous lui ont tourné le dos. C’est dans une école de langue des signes qu’il la croise…

Ce manga, « A silent voice » (« Une voix silencieuse »), confronte le lecteur au harcèlement en milieu scolaire qui touche plus de 140.000 élèves au Japon selon une enquête de 2012. Les brimades et humiliations poussent de nombreuses victimes à quitter l’école, voire à se suicider. C’est contre ce phénomène fréquemment considéré avec bienveillance par des enseignants et directeurs d’établissements, comme s’il s’agissait d’un parcours initiatique vers l’âge adulte, que s’insurge à sa manière l’auteure Yoshitori Oima.

Agée de 26 ans, elle avoue n’avoir pas trop apprécié l’école et qu’elle aimait avant tout dessiner. Dans son manga, elle a choisi de mettre l’accent sur la surdité, l’une des « différences » qui suscitent le plus de moqueries parmi les adultes et imprègnent leurs enfants. Pour ce travail, elle s’est appuyée sur sa mère, interprète en langue des signes japonaise qui l’a conseillée et aidée pour les attitudes des personnages, leurs échanges, avec un résultat très réaliste: le style manga, plein de zooms visuels, de bruitages, ainsi que le trait net de Yoshitori Oima servent particulièrement bien le propos.

Pourtant, malgré l’acuité du harcèlement scolaire au Japon, « A silent voice » faillit ne pas être édité: Yoshitori Oima avait 19 ans quand elle l’a proposé au concours de jeunes auteurs organisé par l’éditeur Kodansha, le plus important du pays. Bien que remportant le premier prix, ce manga n’a pas immédiatement été publié par cet éditeur, contrairement à la coutume. Ce n’est que trois ans plus tard, en 2011, après le succès d’un autre de ses mangas que « A silent voice » a été imprimé. Avec le soutien de la Fédération Japonaise des Sourds et Malentendants, qui a demandé à l’auteure de ne rien modifier à son récit.

En quelques mois, 700.000 exemplaires ont été vendus et le manga décliné ensuite en série, dont le premier des sept volumes vient de paraître en français chez Ki-oon. Le harcèlement scolaire toucherait, en France, un élève sur dix pendant sa scolarité, mais on ne trouve pas d’information spécifique sur ses manifestations liées à la surdité. Le ministère de l’Education Nationale vient de lancer une nouvelle campagne de lutte accompagnée d’un numéro national de signalement, le 0808 701 010, mais ce dernier n’est pas accessible aux jeunes sourds : pas de SMS ni de courriel ni de présentation en Langue des Signes Française. Le harcèlement scolaire reste traité sur un mode général, sans identifier les fragilités auxquelles il s’attaque, ce qui réduit les chances de faire sortir de la tête des harceleurs les idées toutes faites qu’ils peuvent avoir sur leurs camarades sourds ou vivant avec d’autres handicaps.

Laurent Lejard, mars 2015.


A silent voice Tome 1, par Yoshitori Oima, éditions Ki-oon, 192 pages, 6,60€. Le tome 2 est annoncé pour très bientôt.

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