Les Éditions du Fox, spécialisées dans l’histoire, la vie et la communication des Sourds, ont publié récemment un étrange roman policier, Meurtre à l’INJS. L’intrigue, reposant sur un crime atroce, fait découvrir au lecteur des aspects du monde des Sourds, et pose à nouveau la question sensible de la détection précoce de la surdité. A cause d’une imprudence, l’enquêteur lui-même va d’ailleurs progressivement entrer dans la malentendance… L’auteur du roman, qui écrit sous pseudonyme, a bien voulu, par échange de mél, expliquer sa démarche.
Question : Romain de Cosamuet, qui se cache derrière ce pseudonyme ?
Romain de Cosamuet : J’ai exactement soixante ans et j’ai fait toute ma carrière dans une administration où l’on écrit beaucoup. Je suis devenu sourd mais je n’ai pas suivi d’éducation spécialisée. J’ai visité l’Institut National des Jeunes Sourds de Paris à l’occasion d’expositions et de journées portes ouvertes. C’est un lieu symbolique, connu dans le monde entier. D’où le choix d’y situer le roman. Mon idée était de « régionaliser » l’action dans des lieux que le lecteur, surtout sourd, peut facilement reconnaître. Ce n’est pas nouveau mais je crois que c’est le premier du genre dans le monde sourd.
Question : D’où vient l’idée de ce roman : de votre expérience de l’INJS ou de votre imagination ?
Romain de Cosamuet : J’ai été littéralement « saisi » par l’inspiration et l’irrésistible envie d’écrire ce livre ! Comme je l’indique en exergue, c’est un texte de pure imagination, mais avec des grains de vérité. Tout ce qui a trait à la surdité est vrai de même que la plupart des lieux décrits (sauf l’infirmerie de l’INJS que j’ai imaginée, faute de l’avoir visitée). Ce qui m’a inspiré ce livre est le fort taux de « faux positifs » de l’examen auditif périnatal, imposé par les médecins et l’Etat contre l’avis des Sourds. J’ai donc imaginé un enfant entendant diagnostiqué sourd par erreur et implanté [cochléaire]. Le cas est, heureusement, impossible. C’est la licence romanesque, encore que, parfois, la réalité dépasse la fiction…
Question : Quelles sont les réactions des lecteurs, de l’INJS, de cette comédienne qui a inspiré un personnage et aurait pu se sentir concernée ?
Romain de Cosamuet : Je n’ai qu’une réaction à ce jour, celle de l’ethnologue Yves Delaporte qui qualifie de « jouissive » la régionalisation du roman. L’actrice du roman n’est pas inspirée par Emmanuelle Laborit. Ce n’est pas un roman à clés, même si, inévitablement, pour la crédibilité, j’ai utilisé des traits de caractère et des attitudes que l’on peut rencontrer dans le monde sourd. Je remarque que la presse sourde n’est pas très littéraire, peu de journaux annoncent les parutions et pratiquement aucun n’en fait de critique.
Question : Y aura-t-il une suite, afin de savoir par exemple ce que deviendra votre lieutenant devenu malentendant ?
Romain de Cosamuet : J’aimerais bien écrire une suite mais elle dépendra de l’inspiration, capricieuse, et du temps, rare, que je pourrais libérer pour m’y consacrer. Un projet serait de raconter une histoire de voleur sourd, car l’audition est un sens indispensable pour un voleur. Mais alors, comment un voleur sourd pourrait-il exercer sa coupable activité ?
Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2013.
Meurtre à l’INJS, par Romain de Cosamuet, avec des illustrations de Michel-Emile Garnier, Editions du Fox, 8€ chez l’éditeur.