Le Tout-Paris de la déficience auditive s’était déplacé au cinéma Gaumont Opéra en cette froide soirée d’hiver pour découvrir une innovation destinée aux spectateurs malentendants : Sony présentait aux dirigeants d’associations nationales de personnes malentendantes des lunettes sur lesquelles sont projetés les sous-titres correspondants aux dialogues d’un film diffusé dans la salle. Avec ce matériel, toutes les séances deviennent accessibles, alors que la projection sous l’écran n’est proposée que rarement, le procédé étant décrié par nombre de spectateurs « bien entendants » au motif d’une pollution visuelle. Équipé des lunettes, le spectateur peut quitter l’écran des yeux le temps de chercher un bonbon, piocher des pop-corn, ou simplement rêvasser, il ne perdra pas le fil des dialogues. Les lunettes sous-titres, déjà déployées aux USA dans 6.000 salles selon Sony, ont été expérimentées dans deux salles de Montpellier et Toulouse du réseau Gaumont Pathé, à la satisfaction de la plupart des spectateurs testeurs… mais pas celle des dirigeants associatifs parisiens.

La charge fut sonnée par Cédric Lorant, président de l’Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif (Unisda), avec un « avis négatif catégorique », invoquant une fatigue oculaire lui occasionnant des larmes (lui qui ne pleure jamais au cinéma a-t-il tenu à préciser), contestant un sous-titrage de couleur verte sur trois lignes non conforme à celui en vigueur à la télévision ou lors de projections spécifiques. À ses yeux, ce système nécessite « pas mal de validation médicale ». Cédric Lorant aurait-il voulu se venger de l’absence dans la salle de la boucle magnétique qui lui aurait facilité l’écoute par ses prothèses auditives? Il faut dire, convier les responsables d’associations de personnes malentendantes dans une salle mal accessible pour eux, c’est tendre des bâtons pour se faire battre…

L’une des créatrices de CineST exprime également un « a priori négatif », des problèmes avec son appareillage, de positionnement dans la salle, de vision simultanée du sous-titrage et de l’image du film.

Sous-titreur de film, Thierry Julien qualifie le système de « formidable, mais dix minutes, c’est déjà trop, au bout d’une heure et demi c’est simplement insupportable ». Problème: le test n’a duré que dix minutes. Certes, l’utilisation de ces lunettes conduit l’oeil à faire le point entre une image lointaine et des sous-titres proches, une difficulté ressentie par certains spectateurs et pas d’autres, et un problème pouvant également résulter d’un mauvais réglage par l’usager de la netteté de la projection des sous-titres.

Le salut est venu du représentant des « devenus-sourds » du Bucodes: « C’est formidable parce que les sous-titres m’aident à comprendre un mot qui m’échappe. C’est très utile aux malentendants. » Avis presque partagé par le président de Surdifrance, Richard Darbéra, qui déplore quelques difficultés parce qu’il porte des lunettes à double foyer, mais apprécie la mobilité que procure ce procédé. Pour lui, la couleur verte du sous-titrage (imposée par les limites techniques du procédé de projection rapprochée sur les verres de lunettes) est acceptable.

L’un des participants, Frédéric Le Du, qui dirige Accès Culture, trouve même dans ce système une application possible au spectacle vivant, pour remplacer au théâtre les écrans individuels encombrants et lourds actuellement employés pour les séances avec sous-titrage individuel.

« Nous avons à travailler sur ce matériel, le faire évoluer, a commenté Pierre-Franck Neveu, directeur des ventes chez Sony. L’objectif était également d’appréhender les réactions des personnes concernées. Nous avons globalement eu les mêmes remarques à Toulouse et Montpellier. On est parfaitement conscients de certains détails techniques sur lesquels nous devons travailler pour améliorer la qualité du produit et le rendre plus confortable. » Une manière de dire que le lancement européen annoncé ce soir-là des lunettes à sous-titrage n’est pas abouti, d’autant que Pierre-Franck Neveu avoue ne pas avoir connaissance du retour d’expérience des 6.000 salles américaines équipées du même matériel !

De quoi rendre dubitatif l’hôte d’un soir, François Ivernel, Président Directeur Général des cinémas Gaumont Pathé : « Le matériel présenté ne fait pas l’unanimité. Il y a des points de vue positifs sur l’usage, l’accessibilité à toutes les séances, et plus modérés sur le confort des lunettes, des sous-titres. Au bout de tout ça, ce qui compte pour nous, c’est de savoir si les utilisateurs sont demandeurs de ce matériel. » Confronté à une démonstration pilonnée par la plupart des spectateurs-décideurs sourds, François Ivernel n’envisage pas de déployer les lunettes sous-titres et veut évaluer d’autres matériels. La société Sony n’a plus qu’à reprendre son bâton de pèlerin, elle qui a oublié ce commandement vital : il faut savoir associer en amont les décideurs sourds, sous peine d’impitoyable torpillage quand on ne leur complait pas…

Laurent Lejard, mars 2013.

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