Anthony Guyon et Metroworld.

Sourd de naissance, Anthony Guyon l’affirme : « Ma langue maternelle est clairement la langue des signes, je la considère comme une vraie langue à part entière, comme les autres qui utilisent leur langue, soit parlée, soit signée. » Né de parents, sourds, ses deux frères sont également sourds. S’il a suivi une scolarité en école spécialisée pour les enfants sourds, à Lyon, Bourg-en-Bresse et enfin Chambéry, il en est sorti insatisfait, la plupart des professeurs ne connaissaient pas sa langue et la culture sourde : « J’ai quand même eu quelques enseignants qui savaient pas mal la langue des signes. Mais je n’ai jamais eu de cours pour l’approfondir, connaître la grammaire, la structure, la linguistique. » Il voulait devenir acteur, admirant les films américains d’Hollywood, mais les professeurs lui ont souvent répondu : « Non, ce n’est pas possible parce que tu es sourd, il vaut mieux que tu changes ton rêve. » …Et il s’est retrouvé comptable, sans l’avoir choisi !

Le temps que la rencontre d’une femme sourde l’amène à enseigner la langue des signes à des entendants, à Lyon : « Je m’y suis vite intéressé, parce que je voulais travailler dans le ‘monde des sourds’ afin de ne pas sentir l’isolement, la discrimination. Je savais par mes parents et leurs amis que les sourds sont souvent discriminés dans le monde du travail. Dans cette période, j’ai amélioré mon niveau de français écrit parce que j’ai enfin pu comprendre, grâce à la comparaison entre la langue des signes et le français écrit. Pour les Sourds, il faut d’abord apprendre la LSF et ensuite le français écrit, parce que la LSF est leur première langue. »

Enseignant depuis 1999, dans des centres de formation et également à l’Université de Lyon II et à Paris, il a abordé le conte avec la compagnie Main Tatouée, de Patricia Mazoyer : « Avec elle, j’ai appris au niveau artistique, j’ai découvert un métier passionnant ! Mais j’ai eu envie d’aller plus loin. On a présenté plus de 15 spectacles de contes dans toute la France, je ne peux oublier cette compagnie qui m’a offert la clé pour que je puisse enfin entrer dans le monde artistique dont j’ai rêvé depuis mon enfance. Merci à elle ! »

Et depuis cinq ans il se consacre entièrement au métier de comédien et conteur, travaillant avec la compagnie In Time, les Trois HuitLa Main Tatouée, etc. « J’ai joué pas mal de spectacles bilingues (langue des signes et français oral) tels que Sensitive Room, Ligne blanche. J’ai également participé à plusieurs festivals dont Clin d’Oeil en 2007. Là, j’ai vite compris que j’avais besoin de travailler davantage avec les comédiens sourds, afin d’approfondir les techniques visuelles (personnages, expression de la langue des signes…). Ce festival m’a apporté un nouveau regard sur la communauté sourde et le monde artistique, et j’ai pu également rencontrer de grands comédiens sourds d’Europe. »

Anthony Guyon a créé sa compagnie, On Off, quelques mois après, et travaille régulièrement avec le Nouveau Théâtre du 8e (Lyon) : « En 2010, j’ai rencontré Rita Mazza lors d’une formation au Danemark, j’ai passé une année avec elle, nous avons beaucoup échangé, elle possède aussi sa compagnie Davanti Theater, à Berlin, avec Seyed Ali Mahbaz. Après cette formation, nous avons décidé de créer ensemble Metroworld, avec l’aide du NTH8. » C’est à cette rencontre de trois voyageurs immobilisés par la panne d’un métro futuriste reliant New-York à Tokyo qu’Anthony Guyon convie les spectateurs du Festival Orphée :

« Je suis très heureux de jouer dans ce festival, parce qu’avec mon équipe, nous voulons présenter la qualité de notre travail. Pas montrer qu’on est sourd, simplement qu’on est comédiens. Souvent le public dit ‘bravo, les sourds sont des personnes handicapées, alors bravo de faire du théâtre’. Non, non ! Nous on est simplement comédiens, comme des comédiens entendants. On ne montre rien par rapport à la surdité dans cette pièce. Ce qu’on aimerait donner aussi aux entendants, c’est une ouverture d’esprit, ils sont souvent concentrés sur leurs oreilles, et là on leur propose de se concentrer sur leurs yeux ! »

Chante avec Bachir.

C’est une gageure que relèvent Colombe et Bachir avec Eaux Vives et Terres Nues : proposer un récital de chansons connues ou à découvrir, interprétées chacun avec ses moyens, l’une chantant, l’autre restituant musiques et textes en signes et poésie gestuelle. On pourrait penser à deux interprétations simultanées d’une même chanson, mais ce que proposent Colombe et Bachir va au-delà, dans une recherche de symbiose qui dépasse la simple complémentarité, où l’un ne va pas sans l’autre. « J’ai rencontré Colombe à IVT, explique Bachir Saïfi. Elle avait l’idée de créer des chansons en langue des signes, j’étais un peu dubitatif, elle a insisté, m’a dit que ça allait me plaire. Dans la culture sourde, on n’a pas tellement de curiosité pour la chanson, mais j’ai découvert là beaucoup de choses très agréables. »

Dans cette période, IVT préparait puis présentait le spectacle « Inouï Music-Hall », chansigne interprété par des comédiens sourds avec la musique des chansons, mais sans leur interprétation vocale. C’est une autre voie qu’ont suivi Colombe et Bachir, en réunissant dans un récital tous publics musique, chant, signe et geste, l’ensemble dans une mise en scène élaborée. « J’ai trouvé que le module d’une chanson, qui est une histoire qui se raconte en peu de temps, était intéressant en langue des signes, explique Colombe. En m’intéressant au public, j’ai constaté qu’un public n’avait quasiment jamais accès à la chanson : le public sourd. Produire un récital bilingue m’est apparu important à défendre, parce que cela n’existait pas. »

« Les textes, notamment ceux des chansons de Claude Nougaro, sont très difficiles, reprend Bachir. Il faut travailler non pas en traduction mais en adaptation, pas sur le son mais trouver des équivalences, comprendre ce qu’il veut dire, quelle poésie il met, et trouver des images, dans une certaine liberté, tout en restant fidèle à la chanson. Avec Colombe, on a travaillé avec plusieurs interprètes en langue des signes pour mêler nos points de vue sur le sens et la beauté de la langue des signes, trouver un croisement entre deux langues et deux cultures. » Si Eaux Vives et Terres Nues a déjà été représenté une quinzaine de fois, ce sera la première dans un festival consacré au théâtre professionnel pratiqué par des personnes handicapées, une « étiquette » que refusent de nombreux sourds militants de la culture sourde : « Qu’est ça veut dire, handicap ? Qui est handicapé ? Je préfère dire que je suis différent, une différence de communication, de langue. Je vois plein de gens qui sont soi-disant normaux, et que je trouve assez handicapés ! Parce qu’ils ne sont pas ouverts, capable de communiquer. C’est vrai que c’est un peu spécial, le monde du handicap, un regard particulier qui est porté sur les gens. Non pas un regard de spectateurs sur des artistes, mais de personnes valides sur des personnes handicapées. »


Merci à Fabien Lafond (SILS) pour l’interprétariat de cet entretien.

La Sourdine et le Chant de Coton.

La compagnie La Sourdine va proposer un conte musical pout tous publics à partir de cinq ans, le Chant de Coton, avec interprète en LSF : une enfant sourde rejetée par sa mère rencontre une fée qui lui donne la parole, qu’adviendra-t-il de sa relation avec sa maman ? « L’idée nous est venue parce que mon père est sourd profond et ma maman malentendante, explique Nathalie Roche, directrice de la compagnie La Sourdine. Des entendants qui nous voyaient signer disaient souvent ‘ah! c’est génial, où est-ce que je peux apprendre ?’. On a décidé d’écrire un spectacle pour les entendants, pour montrer comment parler à un Sourd, comment il peut entendre la musique, en touchant d’abord les enfants pour qu’eux expliquent à leurs parents. Quand on sort du spectacle, on voit que les enfants ont retenu les signes, ils nous impressionnent ! La lange des signes est très ludique et les fascine. » Le Chant de Coton fait activement participer le public au déroulé de l’histoire, un aspect pédagogique important de ce conte musical.

Entendante pratiquant la langue des signes « paternelle », Nathalie Roche joue avec d’autres comédiens chanteurs entendants, associant à l’écriture du spectacle Caryn Trinca : « Il fallait que dans l’oeuvre l’une des deux ‘adolescentes’ pratique la langue des signes pour la transmettre aux autres. Nathalie Roche joue ce rôle dans la pièce et dans la vie de tous les jours. » Conçu pour un public entendant, le Chant de Coton reçoit également des spectateurs sourds : « Après une représentation, reprend Nathalie Roche, une maman sourde qui va voir des pièces de théâtre m’a dit que pour la première fois elle a pu développer son imaginaire, tout en voyant sa fillette entendante participer, taper dans les mains. ‘Quand je vais voir un spectacle pour sourds, on me traduit tout, on me dit ce que je dois penser, je ne pouvais pas développer mon imaginaire’, m’a-t-elle expliqué. Et avec Caryn on n’avait pas pensé à ça, en fait on a abordé le théâtre pour les Sourds d’une autre manière, en laissant faire l’imagination, sans tout traduire, en travaillant sur la sensibilité pour faire ressentir une musique. »

Toutes deux revendiquent une légitimité à travailler pour populariser la langue des signes : « Il y aura toujours à redire de deux femmes entendantes qui montent un spectacle autour de la langue des signes et de la surdité. Nous, on ne se veut pas porteuses d’un message, on veut simplement montrer que la langue des signes est une vraie langue, que derrière il y a un véritable univers. Et on veut rendre accessibles aux Sourds l’univers des entendants. Mais je crois qu’il faut aussi que les Sourds laissent entrer les entendants dans leur univers… »

Laurent Lejard, novembre 2011.


L’édition 2011 du festival européen théâtre et handicap Orphée se déroule du 4 au 18 novembre 2011 au théâtre Montansier, ainsi qu’à la Royale Factory, à Versailles.

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