Patricia Mazoyer aime la scène : à 24 ans, en 1990, elle avait créé un groupe de rock féminin, Les Pétroleuses. « J’arrive du rock’n’roll. Je travaillais comme programmatrice pour une radio rock et étudiante, à Lyon, qui participait à ‘Rock against the machine’, testait les nouveaux talents. À l’époque, je m’habillais en cuir ! La radio diffusait du hard-rock, de la fusion, du métal, du reggae ». On lui disait déjà, en se moquant, qu’elle était « un peu sourde ». Et vint, en 1992, la révélation de sa surdité, alors qu’elle avait 27 ans. Patricia Mazoyer a alors coupé ses longs cheveux blonds et les a teint en orange, signes extérieurs d’une grosse dépression nerveuse. Elle partit ensuite dans une quête identitaire, découvrant le monde des sourds en s’interrogeant sur ce qu’ils pouvaient lui apprendre d’elle-même, et se formant à la langue des signes française. « Ma surdité, les acouphènes, ça ne se voit pas ». Les acouphènes, Patricia Mazoyer les subissait depuis l’enfance, elle pensait que tout le monde vivait avec ça. Mais lorsque la surdité est devenue importante, elle a dû subir des interventions chirurgicales qui lui ont permis de récupérer une partie de l’audition, sans implantation cochléaire.

Elle a réorganisé sa vie : « Je n’envisageais pas de ne plus pouvoir parler au micro, ça a été une dégringolade sociale qui m’a conduit jusqu’au R.M.I. Ma famille ne comprenait pas ce qui m’arrivait, j’étais désocialisée ». Avec l’aide d’un psychologue, elle a pu remonter la pente, puis a suivi un parcours de réinsertion sociale et professionnelle en passant les étapes obligées des personnes handicapées : COTOREP, ANPE, bilan de compétences en 1995 avec d’autres sourds. Là, elle a rencontré une femme sourde illettrée, découvrant l’inculture des sourds, et s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire. Patricia Mazoyer mettra cinq années à se former et trouver sa voie, comme conteuse. Elle crée en 2000 à Lyon la compagnie de La main tatouée, le prénom-signe que lui ont donné les sourds en référence à la courte ligne qui orne sa main gauche : « La surdité est un handicap de la communication, elle empêche de mettre en commun, réduit la relation à l’autre, et a soi ». Depuis, elle travaille en solo ou en duo bilingue avec Anthony Guyon, conteur sourd de grand talent et qui est maintenant très demandé : « Je raconte, il signe, on signe à quatre mains ». Leur dernière création remonte à mai 2006, « Nos loups », une occasion de parler de la carence d’information, du manque d’éducation qui font des sourds des proies faciles pour qui veut les exploiter.

Patricia Mazoyer adopte des textes ou écrit des histoires. Elle a travaillé sur la flûte : elle sculpte un loup en signes, ce qui est à l’intérieur. « Ça marche avec les enfants et les grands. Les sourds ont tellement faim d’histoires ! ». Elle a également travaillé durant trois ans avec le Nouveau Théâtre du 8e (Lyon) en adaptant un texte du Cantique des cantiques, de la poésie chinoise. Mais les relations parfois difficiles avec les compagnies et les associations de la région Rhône-Alpes ont conduit Patricia Mazoyer à privilégier son indépendance. Actuellement, elle travaille essentiellement en solo, dans les écoles, racontant par exemple le Père Noël sourd ou Boucle d’or aux petits-enfants entendants « comme si on n’entendait plus la voix de maman » : sensibilisation, information, trucs, jeux de mains jeux de lettres, prévention du bruit, pour montrer aux enfants l’effort que font les sourds, l’amitié, la tolérance. Quand Anthony Guyon est disponible, elle représente avec lui des contes du Japon et des Haikus (courts poèmes) en version bilingue.

L’autre facette du travail de Patricia Mazoyer est la peinture, un exutoire des mauvais jours, des frustrations qu’elle couche sur le papier, en dressant des portraits emplis de douleur : « La peinture, c’est mon équilibre ». De même que le silence, qui la repose de la fatigue générée par une hyperacousie (forte sensibilité aux bruits ambiants). Depuis plusieurs années, la photographe Audrey Chappaz suit le travail de Patricia Mazoyer, qui voudrait réunir dans un beau livre une sélection de ces images qui relatent le travail de la compagnie de La main tatouée; quelques-unes d’entre elles ont déjà fait l’objet d’une exposition itinérante en Rhône-Alpes, « les sens du signe ». Une main tendue vers les entendants par cette militante du bilinguisme qui n’est pas encore pleinement reconnue par les sourds.

Laurent Lejard, avril 2007.

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