La publicité sur des produits remboursés par la Sécurité Sociale ne serait-elle plus interdite ? Vérification faite, l’interdiction ne s’applique qu’aux médicaments stricto sensu. Il est donc légal de faire de la publicité pour des appareils de correction auditive (ACA). Mais cette publicité a divers effets détestables. La profession paramédicale d’audioprothésiste risque de se transformer, sous l’effet du matraquage publicitaire de certaines enseignes, en simple fonction commerciale. Certes, il n’y a pas de sot métier, mais l’adaptation d’un appareil auditif exige des compétences particulières.

Le prix des appareils augmente, tant il est vrai que c’est toujours le client final qui paye la publicité. Celle-ci étant efficace, la vente d’ACA a fortement augmentée (+ 18 % entre 2007 et 2008). Les malentendants français sont sous-équipés par rapport à leurs voisins européens. Mais sommes-nous bien certains que ces ventes profitent aux personnes qui en ont vraiment besoin et non pas seulement aux plus fortunées ? Selon Doctissimo.fr, le prix moyen d’un ACA serait de 4.225€ et remboursé 130€ par la Sécurité Sociale. Est-ce une bonne chose que de remplacer une prescription médicale fondée sur un diagnostic objectif, par une pulsion d’achat ? Plus on vend d’ACA, plus le déficit des comptes sociaux s’aggrave et moins la Sécurité Sociale et les mutuelles sont incitées à augmenter un taux de remboursement, bien trop faible et qui reste le principal obstacle à la réhabilitation auditive pour beaucoup de malentendants.

Accepter sa malentendance.
 Ces publicités ont un effet moins évident. Une personne qui devient aveugle ou paraplégique est immédiatement perçue comme telle et obligée, bon gré, mal gré, d’accepter sa nouvelle image. Au contraire, comme la surdité ne se voit pas, nombre de devenus malentendants restent bloqués au stade du refus. Ils ne parviennent pas à se construire une nouvelle identité qui intègre leur déficience. Les mêmes ne cessent de se plaindre que la surdité est invisible ! Il est vrai que leurs interlocuteurs entendants oublient très vite leur surdité et cessent de faire le moindre effort pour permettre une bonne lecture labiale. Mais alors, puisque cette invisibilité complique l’intégration sociale des malentendants, il faut rendre la surdité visible ! Les associations incitent donc les personnes récemment devenues sourdes à accepter leur déficience, à se reconstruire une nouvelle identité, à montrer leurs ACA. C’est toujours un cap difficile à passer, délicat, traumatisant, qu’il ne faut pas forcer, mais encourager et soutenir discrètement. Les malentendants qui surmontent cette épreuve en tirent un grand bénéfice et de meilleures relations sociales. Il n’y a pas d’autre solution, il faut s’accepter tel que l’on naît, tel que l’on est ou tel que l’on est devenu…

Malheureusement, la plupart des malentendants font le contraire. Déjà, en 1946, dans un article titré « Insignes pour les sourds » (La Nature, n° 311), Paul Dabsence écrivait : « Nous ne voulons même pas exhiber un appareil acoustique; au point que l’acheteur éventuel ne demande pas si le fonctionnement en est bon. Il demande d’abord Est-il invisible ?« . Or, la publicité diffusée à la télévision insiste sur l’invisibilité des appareils auditifs et encourage les malentendants à persister dans une attitude humaine, trop humaine, mais inappropriée.

Des appareils invisibles mais inadaptés. La recherche de l’invisibilité incite les devenus malentendants, généralement peu au fait des techniques, à acquérir des modèles intra-auriculaires, le seul type présenté dans les publicités. Ces minuscules appareils qui se placent dans le conduit auditif sont plus difficiles à manipuler (des personnes âgées n’arrivent même pas à en remplacer la pile !), exigent des télécommandes (l’intra est trop petit pour y loger des boutons de réglage), ne conviennent pas à toutes les surdités, sont plus coûteux à l’achat, fragiles et difficiles à réparer. Les associations recommandent d’opter pour des contours ou des mini-contours d’oreille qui évitent tous ces inconvénients. La publicité n’incite plus à la meilleure réhabilitation auditive possible, mais à vendre l’appareil le plus cher, peu importe qu’il soit mal adapté et finisse dans un tiroir ! Cette attitude est encouragée par la rémunération des audioprothésistes au pourcentage du prix des ACA. Les associations demandent, de longue date, que leur rémunération soit fonction de la difficulté de la réhabilitation auditive.

Les intra-auriculaires, trop petits pour être équipés d’une bobine réceptrice, ne donnent pas accès à une aide technique majeure : la transmission du son par induction magnétique dite « boucle magnétique ». Or, selon la loi 2005-102, tous les lieux publics en sont progressivement équipés. Les porteurs d’intra-auriculaires (qui ne corrigent que des surdités légères à moyennes) ne pourront en bénéficier, alors même qu’ils sont les plus aptes à utiliser une aide technique sonore.

Ainsi, la publicité sur les appareils auditifs augmente leur prix, aggrave le déficit de la Sécurité Sociale, décourage un meilleur remboursement, transforme une profession paramédicale en commerciale, incite à l’achat des appareils les plus coûteux, sans raison technique, et incapables de recevoir une aide technique prévue par la loi. Pire, elle fait du tort aux malentendants en flattant leur tendance à dissimuler leur surdité. Comme pour l’alcool et le tabac, l’interdiction de la publicité sur les appareils auditifs serait donc d’intérêt public…

Marc Renard, président de l’Association 2-A.S, avril 2011.

Dessin de Pat Mallet, extrait de « Tant qu’il y aura des sourds », paru aux Éditions du Fox.

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