2010 devrait être l’année durant laquelle sera atteint l’objectif de sous-titrer quasiment 100% des émissions diffusées en France sur les grandes chaînes de télévision. Mais à y regarder de plus près, on a le sentiment que cet objectif quantitatif constitue une fin en soi, et que la compréhension du sous-titrage proposé aux sourds et aux malentendants passe au second plan.

C’est ce que déplore Marc Renard, président de l’association 2A.S, qui a signalé plusieurs dysfonctionnements au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) dans un courrier adressé le 15 juillet 2009 : « Le système de sous-titrage de la télévision numérique terrestre ne comporte pas de fond noir (contrairement au sous-titrage télétexte). De ce fait, les sous-titres sont illisibles lorsqu’ils sont superposés sur des incrustations vidéo ». Ce à quoi le président du CSA répond, six mois plus tard, le 22 janvier 2010 : « Vous soulignez […] l’absence de fond noir des sous-titres sur la Télévision Numérique Terrestre. Il semble que le fond noir ne soit pas toujours souhaité par les personnes sourdes ou malentendantes ».

Un point de vue confirmé par Françoise Berger-Longuet, chargée de mission accessibilité au CSA, qui précise que les associations ne sont pas d’accord sur ce point : « On a pensé normaliser le sous-titrage, mais ce travail n’a pas débuté parce que les associations nous ont dit comprendre très bien les sous-titres ». A ce jour, il n’existe toujours pas de norme relative à la présentation à l’écran du sous-titrage. L’affichage actuel a été élaboré à l’époque du procédé Antiope, il y a une trentaine d’années environ, et repose sur des codes couleur, avec quelques différences d’une chaine à l’autre.

« Nous estimons chez Canal Plus que le bandeau noir altère l’image, complète Ariane Esfandi, responsable Communication Canalsat et Nouvelles Technologies. Il occulte des infos ou scènes importantes pour les téléspectateurs sur certains programmes, notamment sportifs ». De fait, le fond noir « par défaut » disparaitra en même temps que la diffusion analogique par onde hertzienne; la Télévision Numérique Terrestre, qui la remplace, confie le soin au téléspectateur de sélectionner ce fond noir en paramétrant son récepteur… s’il dispose de l’option ad hoc. Françoise Berger-Longuet ajoute que le CSA a créé une cabine technique destinée, notamment, à vérifier la disponibilité du sous-titrage sur les différents procédés et opérateurs de diffusion, autre dysfonctionnement signalé par Marc Renard, un chantier pour lequel les informations sont pour l’instant confidentielles.

Une qualité perfectible. 
La qualité des textes constitue l’autre chantier d’amélioration nécessaire des sous-titrages, un problème fréquent dans les émissions réalisées en direct, mais également aussi pour certains programmes « en stock ». Il existe en effet deux techniques. Les émissions en direct sont sous-titrées de façon automatique : le sous-titreur écoute le programme et dicte sur ordinateur ce qu’il comprend au moyen d’un logiciel de dictée vocale tel Dragon Naturally Speaking. Ce travail, qualifié de « perroquet » dans le jargon professionnel, nécessite une préparation en amont sous peine de résultat cocasse. « Il existe une part d’erreur inhérente à ce procédé, même en intégrant un vocabulaire spécialisé », estime Sophie Benaben, coordinatrice du pôle sourds et malentendants de l’Association des Traducteurs et Adaptateurs de l’Audiovisuel (ATAA). Elle déplore que la demande de transmission préalable au sous-titreur des textes diffusés sur prompteur et lus par un journaliste soit refusée pour « motif déontologique », ce que Françoise Berger-Longuet (CSA) conteste, au moins pour France Télévision.

Le procédé est différent pour les programmes enregistrés. Ils sont remis à un adaptateur qui rédige les sous-titres correspondants à ce qu’il entend, un travail qui nécessite des recherches documentaires et une bonne culture générale. « C’est la partie du travail que j’adore, explique Sandrine Babak, présidente du Collectif des Adaptateurs de l’Audiovisuel pour les Sourds et les Malentendants (CAASEM). Il faut compter une journée de travail de sept heures pour adapter correctement une vingtaine de minutes de programme ». Un travail dont la rémunération n’a cessé de baisser ces dernières années, pour descendre jusqu’à 3€ la minute : « Aucun professionnel ne veut travailler en dessous de 3€, poursuit Sandrine Babak. Certains ont abandonné le métier, les plus âgés sont partis à la retraite, les jeunes ne veulent pas le faire. À ce tarif, pour vivre correctement, il faut produire quarante minutes de sous-titrage par jour ». En effet, les sous-titreurs adaptateurs ont le statut d’auteur indépendant et doivent payer eux-mêmes leurs cotisations sociales, acquérir le matériel nécessaire et travailler à leurs frais. « On a perdu 60% de notre pouvoir d’achat », confirme Sophie Benaben (ATAA).

Le spectre de la délocalisation. 
Exception française, la société britannique Red Bee Media ne fait travailler que des sous-titreurs salariés, avec une part de 70 % de direct et semi-direct. Cette dernière technique repose sur une préparation préalable des sous-titres qui sont réalisés lors de la diffusion. « Nos clients, les chaînes de télévision, cherchent toujours à baisser les coûts, explique Alex Keiller, directeur de Red Bee Media France. Ils font des comparaisons lors des appels d’offres. On répond avec des gains de productivité, sans baisse de qualité ». Mais pour affronter, voire profiter d’une concurrence entretenue par les chaines de télévision, l’un des laboratoires de sous-titrage, Teletota, délocalise déjà au Maroc, alors même que le coût du sous-titrage d’une émission est marginal : par exemple, l’émission de propagande sur la gendarmerie diffusée le 4 mai dernier sur France 2 aurait coûté dans les 4.700€ la minute, dont moins de 10€ pour le sous-titrage sourds et malentendants. Conseillère du CSA chargée de l’accessibilité télévisuelle, Christine Kelly ne manque pourtant jamais une occasion d’affirmer que le sous-titrage est cher. A 0,002% du coût d’un programme, il faudrait qu’elle explique ce que « cher » veut dire… 

Laurent Lejard, mai 2010.

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