Une centaine de timbres-poste de quelque 70 pays évoquent les Sourds et la surdité. Le plus ancien représente une séance de démutisation. Il a été émis en 1931 aux Pays-Bas. L’époque était très hostile à la langue des signes, vue comme une gestualité incohérente incapable d’exprimer la pensée abstraite, de sorte que le seul moyen de « rendre les sourds-muets à la société » semblait être de leur apprendre à articuler sinon des mots, du moins des sons. En 1955, le timbre yougoslave émis à l’occasion du Deuxième congrès de la Fédération mondiale des Sourds représente un signe. Tentative inaugurale bien timide, puisque ce signe n’est qu’un pur et simple emprunt de celui que font les entendants pour exprimer le nombre « deux ».

En 1967, pour le Cinquième congrès de la même fédération, les postes polonaises émettent un timbre où trois signes quelque peu énigmatiques ont donné lieu à diverses interprétations. Un signe trop transparent et des signes trop obscurs : ce sont là les balbutiements de la mise en image de la langue des signes par les deux premiers services postaux qui s’y sont essayé.

C’est dans cette première période, qui s’arrête en 1980, que sont émis tous les timbres ayant rendu hommage aux fondateurs d’institutions pour sourds-muets aux 18e et 19e siècles : le Hollandais Daniel Guyot en 1935, l’abbé de l’Epée en 1959, le Hongrois Andras Chazar en 1962, l’allemand Samuel Heinicke en 1978, l’Américain Thomas Gallaudet en 1980. Le projet de timbre-poste honorant l’abbé de l’Epée, héros civilisateur et figure mythique de l’histoire des sourds, avait été engagé par l’Alliance française des sourds-muets.

A partir des années 1970, l’interdiction de la langue des signes dans les institutions commence à se fissurer. Un unique timbre, provenant de Montserrat, témoigne de la méthode transitoire nommée « communication totale » qui, combinant apprentissage de l’audition, appareils de correction auditive et recours à des gestes, prépare la fin de l’oralisme le plus intransigeant. L’année 1980 est marquée par le centenaire de la naissance d’Helen Keller, célèbre sourde-muette aveugle : six pays célèbrent l’événement par des timbres. Cet engouement pour un personnage qui a fortement marqué l’imaginaire occidental (qui ne se souvient du film « Miracle en Alabama » d’Arthur Penn ?) ne cessera jamais, puisqu’on recense aujourd’hui une vingtaine de timbres sur le même thème.

L’année 1981 ouvre une seconde période de l’histoire de la philatélie sourde. Elle voit une floraison de timbres dédiés à la surdité : pas moins de 25, c’est-à-dire autant que tout ce qui avait été produit pendant les cinquante années précédentes. L’année internationale des personnes handicapées en fournit l’occasion. Plusieurs timbres montrent la langue des signes en action ou l’alphabet manuel qui permet d’épeler des mots. L’époque y était favorable : depuis vingt ans, des linguistes américains avaient fait entrer la langue des signes sur la scène scientifique; en France, c’était le début du « réveil sourd ». Sur ces timbres de 1981, l’orthophonie côtoie encore la langue des signes. Mais, dans les représentations collectives sur la surdité sinon dans les faits, la seconde est ascendante tandis que la première est en déclin : depuis cette année charnière, elle n’est jamais réapparue sur aucun timbre.

Toujours en 1981, apparaît un signe dérivé de l’alphabet manuel, pouce, index et auriculaire déployés, signe qui tend à se répandre dans le monde entendant : c’est le monogramme américain qui combine les lettres manuelles I, L et Y, initiales des trois mots « I love you » (je vous aime). A ce jour, sept pays y ont recouru, y compris la Chine. Les missives qui le transportent sur les cinq continents contribuent à cette popularisation d’un signe emblématique de la culture sourde. En jetant l’opprobre sur les signes, le congrès de Milan de 1880 avait provoqué une fracture entre le monde sourd et le monde entendant, contraignant les sourds à se réfugier dans l’espace privé. Qu’ils montrent des signes ou l’alphabet manuel, tous ces timbres sont donc l’une des plus spectaculaires manifestations du retour de la langue des signes dans l’espace public depuis la fin des années 1970.

Mais bien d’autres pièces postales que les timbres apportent leur contribution à l’iconographie de la surdité. Les cartes et enveloppes dites « premier jour » (PJ) ou « first day cover » (FDC) offrent des variations, souvent richement illustrées, sur le thème du timbre qu’elles portent. L’un des PJ qui accompagne le timbre de l’abbé de l’Epée rappelle l’épisode fameux du jeune comte Solar abandonné par sa famille avant d’être pris en charge par le « bienfaiteur des sourds-muets »; un autre, qui accompagne le timbre honorant Thomas Gallaudet, rappelle l’épisode non moins célèbre du navire « Mary Augusta » emmenant Gallaudet et le sourd-muet français Laurent Clerc aux Etats-Unis, où ils fondèrent la première institution pour enfants sourds. Nombreuses sont les oblitérations comprenant un texte ou une illustration, qui réfèrent à la surdité. Elles sont souvent réalisées par des associations de sourds et commémorent congrès ou championnats.

On n’aura garde d’oublier les vignettes postales, d’apparence identique à celle des timbre-poste mais sans valeur d’affranchissement. Elles sont produites dans un but de promotion par des associations de sourds, plus souvent par des associations de devenus-sourds, ou encore des institutions. Bien que négligées par les philatélistes, elles offrent un riche matériau documentaire sur l’histoire des sourds.

Timbres, enveloppes premier jour, oblitérations et vignettes postales ne sauraient être dissociés. C’est ainsi que l’existence des Jeux mondiaux des sourds a été portée à la connaissance du grand public par un timbre yougoslave en 1969, cinq timbres bulgares en 1993 et deux timbres formosans en 2009 ; mais également par une vignette britannique en 1935, une oblitération italienne en 1997 et deux oblitérations américaines en 1985 et 2007. C’est donc ensemble que ces différentes pièces philatéliques ou paraphilatéliques portent témoignage des événements qui ont marqué l’histoire des sourds, et des représentations que la société s’en fait.

Yves Delaporte, décembre 2009.


La collection de timbres et flammes postales d’Yves Delaporte est exposée sur le site de l’Association pour l’Accessibilité du cadre de vie aux personnes Sourdes, devenues sourdes ou malentendantes (2-AS).

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