On n’a pas tous les jours 20 ans, et la fête d’anniversaire du quotidien gratuit 20 Minutes le 15 mars prochain aura-t-elle lieu en présence de tous ses journalistes, dont celui auquel une maladie neurologique a été diagnostiquée quelques mois après son embauche définitive ? Depuis cette annonce il y a près de quatre ans, il subit en effet une multitude d’obstacles, privations et humiliations que l’inspection du travail estime graves au point d’engager la rédaction d’un procès-verbal de faits de harcèlement moral lié à un motif discriminatoire. Ces faits pourraient conduire le quotidien sur les bancs du Tribunal Correctionnel de Paris. Comment un journal engagé dans la promotion de l’emploi des personnes handicapées et dénonçant le handiwashing en est-il arrivé là ?

Télétravail interdit

Le journaliste quadragénaire sur la sellette est professionnel, titulaire de la carte de presse depuis une quinzaine d’années, avec une solide expérience des réseaux sociaux : sa mission à 20 Minutes consiste à y valoriser les articles de la rédaction. Il a également rédigé des sujets très diversifiés, témoignant de sa polyvalence, près d’une soixantaine disponibles en ligne. Jusqu’à ce que ses premiers problèmes de santé apparaissent : « J’ai eu du mal à marcher. J’avais déjà des tremblements dystoniques à la main gauche, c’était visible par tous. Ça ne m’inquiétait pas plus que ça mais ça a duré et la kiné n’a pas fait grand chose. En mars 2018, la médecine du travail a demandé que je fasse deux jours par semaine en télétravail, entraînant une dégradation de la relation avec ma rédactrice en chef, une surveillance et un contrôle permanents. » Son travail était pourtant aisément réalisable à distance : ce journaliste fait de l’exploitation d’informations, il n’est pas reporter de terrain. Mais à 20 Minutes, si la rédaction travaille à flux tendu, elle manque de rédacteurs et la hiérarchie ne leur fait pas confiance, elle veut les avoir sous la main.

Courriel de la Direction à la médecine du travail le 23 avril 2019

D’autant que la technologie s’en est mêlée : « J’ai rencontré des problèmes de connexion ADSL qui m’ont été reprochés, ainsi que d’autres, mais sans chercher de solutions ni faire des propositions. En juin 2018, on m’a dit que je ralentissais le service, toujours sans chercher de solutions, et que je devais partir. » Reproches verbaux, jamais écrits, et une référente handicap qui l’incite à se mettre en long arrêt maladie, puis lui propose de faire autre chose dans la rédaction. Quand il propose de revenir, on lui dit que le télétravail n’est pas possible : « J’ai essayé de reprendre, je n’avais pas de diagnostic de ma pathologie. J’ai tenu jusqu’au 15 octobre 2018, marcher devenait un sacerdoce. Mon médecin m’a mis en maladie, j’ai passé une batterie d’examens, et en mars 2019 j’apprends que j’ai une dystonie généralisée, une maladie neurologique. Sur les conseils des médecins traitant et du travail, j’ai demandé à revenir 3 jours par semaine en temps partiel thérapeutique. L’employeur a fait pression sur la médecine du travail pour obtenir un avis d’inaptitude en lui adressant un courriel le 23 avril 2019. » C’est là que la situation déraille : la médecine du travail est indépendante de l’employeur, ses avis s’imposent à lui et il n’a pas le droit de les influencer. « Je n’étais pas informé de ce courriel, poursuit le journaliste. Je demande à revenir et l’employeur me renvoie vers la médecine du travail pour la visite de pré-reprise, puis l’employeur refuse le temps partiel thérapeutique. » La réunion qui s’ensuit avec la direction, les ressources humaines, la rédaction en chef et le délégué du personnel prend un tour conflictuel, contraignant le journaliste à reprendre le 1er juillet 2019 à temps plein. Le lendemain, lors d’un entretien avec sa cheffe, elle lui annonce qu’elle a passé une très mauvaise année à cause de lui ! C’est le malade chronique, reconnu travailleur handicapé cinq mois plus tard qui est fautif ! « L’employeur voulait obtenir de la médecine du travail l’inaptitude au poste pour me licencier ensuite », constate alors le journaliste. Il a raison : selon le syndicat Force Ouvrière, 90% des avis d’inaptitude se traduisent par des licenciements, le reclassement dans l’entreprise tenant de l’exception alors que la loi l’érige en règle.

Mutisme et peur des représailles

On passera sur les multiples événements et péripéties (dont une mise en accusation devant le Comité social et économique, ex-comité d’entreprise) que l’inspecteur du travail, saisi par le journaliste, estime constituer des faits de harcèlement moral. Lesquels ont plongé cet employé dans un syndrome dépressif grave. Côté direction, pas d’interlocuteur au téléphone et une réponse par courriel fleurant la xyloglossie : « Suite à votre message adressé à 20 Minutes ce jour, nous vous confirmons que 20 Minutes prend très au sérieux la question de l’emploi et du handicap et a pris la mesure de l’enjeu depuis toujours. Comme vous le savez peut-être, le Conseil des Prud’hommes a été saisi de ce dossier. Nous ne souhaitons pas communiquer davantage et attendons sa décision. » Effectivement, la direction des ressources humaines de 20 Minutes avait pris l’initiative d’une saisine prud’homale le 5 mai 2020 pour « contourner » la médecine du travail, puis s’était désistée ; là, c’est le journaliste qui a saisi les Prud’hommes dans l’espoir d’obtenir ses droits.

Handiwashing selon 20 minutes

Mais du côté de la rédaction du quotidien, on sent un malaise chez les journalistes qui ont bien voulu rappeler et échanger quelques mots : les groupes de presse Rossel et Ouest-France propriétaires de 20 Minutes ont une réputation de dureté dans les relations sociales. Un représentant syndical précise qu’il a assisté à une vingtaine de départs d’employés en pleurs : « Je n’ai jamais vu un problème se régler à 20 Minutes », ajoute-t-il. L’un des interlocuteurs, très gêné, renvoie vers la direction, réfutant un problème strictement professionnel. Ce que confirme un second interlocuteur : « C’est une décision de l’entreprise. On [la rédaction] n’est pas forcément tenu au courant, on l’a découvert de l’extérieur ». Notamment par le Syndicat National des Journalistes CGT et le SNME-CFDT qui ont évoqué l’affaire à deux reprises dans des communiqués communs, les 16 septembre 2020 puis 1er décembre 2021. Ensuite dans une enquête du quotidien Médiapart publiée le 10 décembre. Situation paradoxale pour 20 Minutes qui publiait en novembre un Supplément semaine pour l’emploi des personnes handicapées financé par de la publicité ciblée… dont celle de l’État axée sur la non-discrimination par l’acceptation des différences ! Quotidien qui osait courageusement épingler « le handiwashing ou la diversité mise en scène » : on y pointe une société qui sous-traite à un ESAT employant des travailleurs handicapés le soin de rejeter les candidatures d’autres travailleurs handicapés. Ce n’est pas à 20 Minutes qu’on verrait ça…

Laurent Lejard, janvier 2022.

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