Auprès du public, l’Association des Paralysés de France passe pour une importante organisation de défense des personnes handicapées motrices. Il apparaît alors paradoxal que son Conseil d’Administration décide d’exclure une adhérente qui est fort probablement la plus active de France, et dont l’action a obtenu de réels résultats sur son territoire, la Haute-Garonne. Cette militante, c’est Odile Maurin, 52 ans, élue en 2013 représentante départementale de l’APF 31 par les adhérents, jusqu’à son exclusion le 14 décembre dernier. Que lui reproche donc la direction nationale de l’APF ? Essentiellement l’élaboration et la diffusion auprès des délégations départementales d’un manifeste « Projet APF : militant » dans lequel Odile Maurin explique l’intérêt de séparer la défense des intérêts des personnes handicapées de la gestion d’établissements médico-sociaux. Elle ne fait là que relancer un vieux débat sur l’antagonisme de ces deux missions que cumulent la quasi-totalité des associations nationales de personnes handicapées, avec des conséquences connues : on ne mord pas la main qui vous nourrit, ce qui oblige ces structures à modérer leurs actions afin de ne pas mécontenter les décideurs, qu’ils soient nationaux ou locaux.

« Le Manifeste a reçu la signature d’une soixantaine d’élus aux Conseils Départementaux et Régionaux de l’APF, précise Odile Maurin. L’association n’est plus adaptée aux besoins des adhérents, on travaille à des propositions de fonctionnement différent, transversal, horizontal. » Elle déplore que l’APF n’utilise pas la mise en réseau, l’information n’étant que descendante de la direction générale vers la base, sans échanges entre acteurs de terrain, entre territoires. Elle reproche également à cette association de défense de ne pas utiliser le levier juridique, plus précisément en matière de respect de la législation de 2005 sur l’accessibilité : « On aurait dû poursuivre dès 2011 les préfectures et les universités qui restaient inaccessibles, ainsi les écoles dans lesquelles l’accessibilité a été mal réalisée. Le levier du contentieux est un moyen à court et long terme. » Un point qu’elle a constaté dans son département de Haute-Garonne, dans lequel elle a initié de nombreuses manifestations, occupations, blocages : « Il n’y avait plus de discussions avec la préfecture, on les a rétablies par l’action il y a 18 mois. On a obtenu le rejet d’une quarantaine d’Agendas d’Accessibilité Programmée, alors qu’avant on n’était même pas écoutés par la préfecture. »

Odile Maurin est particulièrement fière d’avoir obtenu en novembre 2015 du Conseil Régional Midi-Pyrénées un net raccourcissement de la période de mise en accessibilité des lycées et des transports ferroviaires, 2019 pour les premiers et 2021 pour les seconds, raccourcissement que la présidente de la nouvelle région Midi-Languedoc s’engage à étendre à cette nouvelle collectivité. Odile Maurin regrette que l’APF n’ait pas lancé un vaste mouvement national de protestation contre la réforme de l’accessibilité qui a abouti à l’ordonnance du 26 septembre 2014. Mais comment cette association pouvait-elle agir alors que son président, Alain Rochon, haut-fonctionnaire retraité du ministère des Finances, avait accepté le principe d’une telle ordonnance ?

Côté APF, un administrateur qui a tenu à garder l’anonymat, estime : « Odile Maurin est tellement dans la toute-puissance. Quand ça ne vient pas d’elle, elle considère qu’on a tort et qu’elle a raison. Le problème est qu’elle est tellement compétente qu’elle est écoutée. On la croit, alors que c’est faux. » Pour cet administrateur, on débat à l’APF, mais pas de tout et surtout pas d’un projet de fédération séparant la défense des intérêts des personnes handicapées de la gestion d’établissements médico-sociaux. Il doit également reconnaître des lacunes dans l’expression démocratique des adhérents, dont une motion a été victime lors de la dernière Assemblée Générale de juin dernier : « On avait pris du retard avec le déjeuner, quelqu’un a dit maladroitement ‘on n’a pas le temps alors pas de débat’, les adhérents ont rejeté la motion. » Pourtant, la charte de l’APF stipule qu’elle « s’engage à assurer la place prépondérante de l’adhérent [et] le droit d’expression de tous : adhérents, bénévoles, salariés, usagers ». Elle s’est lancée en 2002 dans le programme « Démocratie ensemble » destiné à stimuler les débats internes et la participation des adhérents. Une action poursuivie par le Comité UNEDE (Une Nouvelle Étape de Démocratie Ensemble) qui a relevé le besoin d’une organisation plus transparente, sur un mode « qui fait quoi à l’APF » assez proche de ce que pense Odile Maurin, et plus démocratique, avec des préconisations que les adhérents ont approuvé lors de l’Assemblée Générale du 28 juin 2014.

Cette volonté démocratique ne serait-elle qu’une façade ? On peut se le demander en constatant la brutalité avec laquelle l’APF se débarrasse de ses débateurs les plus gênants : la méthode employée est aussi simple et expéditive que pour feu Didier Faivre d’Arcier, l’article 4 des statuts qui radie un adhérent pour « comportement non conforme aux valeurs de l’association inscrites principalement dans sa charte et son projet associatif ». Après l’entretien préalable à l’exclusion qu’elle a eu avec trois administrateurs, Odile Maurin avait « le sentiment de gens qui se croient et ne maitrisent pas les enjeux de terrain. » Pour sa part, l’administrateur anonyme précité estime que « l’exclusion, c’est un risque que l’on prend. C’est la seconde en 15 ans, avec celle de Didier Faivre d’Arcier. » Le résultat est là : à l’APF, on ne discute pas, on exécute.

Laurent Lejard, janvier 2016.

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