L’action se passe en Belgique, à Bruxelles, mais elle pourrait tout aussi bien se dérouler en France. Les parents d’une fillette née polyhandicapée du fait d’erreurs médicales obtiennent l’installation d’un stationnement réservé devant leur maison, et la vie de la maman bascule à cause de l’occupation indue, presque permanente, de l’emplacement. Elle le surveille, pourchasse et punit des conducteurs inciviques, commet des gaffes, sauve même la vie et l’humanité de son beau-père en faisant enlever sa voiture par la fourrière… Dans un style alerte, Corine Jamar livre dans Emplacement réservé, publié par Le Castor Astral, un récit romancé balançant entre humour, tendresse et révolte d’épisodes de sa vie, dont seuls ceux qui la connaissent démêleront la réalité de la fiction.

« C’est la reprise d’édition d’un roman publié chez Fayard en 2003, explique-t-elle; mais qui n’avait pas rencontré son lectorat à cause d’un lancement hasardeux, présentant l’ouvrage comme étant un recueil de nouvelles. Je l’ai repris en partie et complété d’un prologue. » Elle raconte la vie de famille avec Emma, une fillette née polyhandicapée, qui marche peu et mal, ne parle pas, n’est pas propre, pique des crises, un peu comme l’enfant de Corine: « Ma fille est lourdement handicapée, avec des symptômes autistiques. L’emplacement réservé est devant chez moi. On l’a demandé quand ma fille avait quatre ans, en 1997. Il est toujours là, envahi de voitures et de conducteurs inciviques. Je lis souvent ce genre d’histoire sur Facebook. »

Cet emplacement réservé va rapidement peser sur la maman, qui veut profiter de ce droit que de nombreux automobilistes piétinent allègrement avec les roues de leur bagnole: un croque-mort, des policiers, un mari adultère…

« C’est un prétexte pour parler de tout autre chose. Le rire aide. C’est très symbolique : une voiture stationnée sur l’emplacement réservé nie le handicap de l’enfant, le vécu du quotidien. Le chauffeur incivique ne voit pas cet aspect. Mais on est atteint dans toute la famille, c’est un droit qu’on nous nie. »

Les droits, on les retrouve également au fil du récit, telle cette obligation absurde de vérifier chaque année, au moyen d’un scanner effectué sous anesthésie, que les neurones détruits du cerveau de la remuante Emma n’ont pas repoussé, sait-on jamais… « Maintenant qu’elle a 21 ans, son handicap est évident. Dans le roman, je pousse un peu le bouchon de temps en temps, pour faire de l’auto-fiction. » Mais ce qui est toujours vrai, c’est qu’un enfant dont le quotient intellectuel n’est pas testable ou inférieur à 80 ne bénéficie pas d’une prise en charge en orthophonie. Corine Jamar a donc payé de sa poche, et continue de le faire, l’orthophoniste qui intervient régulièrement auprès de sa fille : « Elle communique en pointant le doigt sur les lettres d’un clavier en carton. C’est formidable, on peut parler avec elle. Elle a conscience de son handicap, et en souffre. Mais elle n’était pas scolarisable. Elle a son intelligence, mais ne peut suivre une conversation. Pourtant, elle emporte toujours des livres, sans comprendre l’histoire. »

Actuellement, Emma est hébergée pendant la semaine dans un lieu de vie située dans les Ardennes belges, à 150 km de ses parents, la pénurie en places adaptées touche également la Belgique : « On fait 600 kilomètres dans le week-end pour aller la chercher puis la ramener. A l’époque où je cherchais une place en établissement spécialisé pour ma fille, je suis tombée sur des établissements belges qui ne voulaient que des Français ! La situation est d’ailleurs plus grave à Bruxelles qu’ailleurs en Belgique, d’autant que le Fédéral laisse le pouvoir provincial se débrouiller. Ma fille a bénéficié d’un budget prioritaire accordé par le Fédéral, qui n’en accorde désormais plus, et veut tous les supprimer, même ceux qui ont été précédemment attribués. » Sur ce sujet brûlant en Belgique, Corine Jamar se remémore la déclaration récente d’une ministre flamande membre du parti séparatiste, populiste et xénophobe N-VA, prétendant qu’on ne peut pas donner aux réfugiés et aux handicapés. « Ce ne devrait pas être le rôle des politiques de semer la zizanie », déplore Corine Jamar.

Elle espère que la réédition d’Emplacement réservé aidera les familles confrontées aux difficultés sociales et sociétales que vivent les personnes lourdement handicapées. « Aujourd’hui, on parle davantage du handicap, c’est moins tabou. J’étais un peu frustrée lors de la sortie du roman en 2003, puis je suis passée à autre chose. Mon éditeur actuel l’a retrouvé et m’a proposé de le rééditer. J’ai dû récupérer les droits chez Fayard, mais ça été facile, cet éditeur continuait à l’imprimer à la demande sans m’avoir informé ! Ce livre a quelque chose de salvateur. L’humour est un baume, un moyen de s’en sortir. J’espère que les lecteurs le ressentiront ainsi, pour cet effet consolant. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2015.


Emplacement réservé, par Corine Jamar, Le Castor Astral éditeur, 15,90€ en librairies.

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