Imposant ou hideux selon que l’on apprécie ou pas ce témoignage de l’architecture brutaliste de la fin des années 1970, le Palais de justice de Créteil (Val-de-Marne) fait l’unanimité sur un point : il est totalement inaccessible aux personnes handicapées motrices. Pour y entrer, une longue pente qui se termine par des escaliers. À l’intérieur, même si un ascenseur dessert les nombreux étages, l’architecte s’est débrouillé pour desservir des salles d’audience par des escaliers. C’est le cas pour la Cour d’Assises, une douzaine de marches conduisant dans la salle qui, elle-même, comporte trois marches.

L’administration de la justice s’en accommodait fort aisément, jusqu’à ce qu’en septembre dernier un événement vienne bouleverser cet ordre de choses : Jean-François Blay, un avocat pénaliste qui se déplace en fauteuil roulant devait défendre l’un des condamnés en première instance dans la terrible affaire du gang des Barbares, et cet avocat brandissait la menace d’un ajournement de ce procès très médiatique dans un autre palais de justice, arguant de l’inaccessibilité de la salle de Cour d’Assises de Créteil et de l’incapacité d’assurer équitablement la défense de son client.

« Cet été, quand j’ai rencontré le nouveau président du Tribunal de Grande Instance de Créteil, je lui ai dit que j’allais déposer des conclusions sur les difficultés à remplir mon office, explique Jean-François Blay. J’avais écrit en 2008 à la Présidence de la République, cette lettre avait été transmise à la Chancellerie qui m’avait répondu en invoquant l’échéance en 2015 de la mise en accessibilité résultant de la loi de février 2005. J’aurais lu cette lettre aux assises, ce qui aurait obligé la cour à reporter le procès ».

Le report du procès très attendu du gang des Barbares aurait en effet créé un scandale public éclaboussant d’autant plus la justice qu’il résulte de la volonté de la ministre et Garde des Sceaux d’interjeter appel de la première sentence. L’opinion publique aurait alors appris que les travaux de mise en accessibilité du palais de justice de Créteil avaient bien été programmés… après le procès ! Alors, le ministère de la justice a agi très rapidement, d’autant que le président du TGI de Créteil, Gilles Rosati, demandait instamment que la mise en accessibilité de la cour d’assises soit effectuée. Jusqu’alors, Jean-François Blay devait être porté par les pompiers. « Le président du TGI m’a ensuite convoqué en présence de représentants de la Chancellerie, chargés de l’accessibilité », précise l’avocat. Puis en 15 jours, l’administration a étudié les solutions techniques, déterminé les matériels nécessaires et passé les marchés avec les entreprises chargées de les réaliser, du jamais vu en France !

Cela fait maintenant une quinzaine d’années que Jean-François Blay se déplace en fauteuil roulant; auparavant il marchait avec des cannes : « Du point de vue du confort, je préfère être en fauteuil roulant, malgré les obstacles architecturaux. On est un peu comme des athlètes, tout doit être programmé. Et je me sens beaucoup plus fort dans mon métier depuis que je suis en fauteuil roulant. Je n’ai jamais voulu me servir de mon handicap, mais de ma compétence, pour gagner mes affaires. Mais le préjudice est énorme pour un avocat qui fait du pénal, qui doit visiter ses clients en prison, plaider dans les tribunaux, se rendre dans les services judiciaires. Quand on intervient en comparution immédiate, c’est toujours dans l’urgence, il faut pouvoir affronter l’inaccessibilité. Je ne peux pas faire de droit des étrangers à cause des problèmes d’accessibilité. Je suis obligé d’aller moins dans les prisons que mes confrères ».

Jean-François Blay se rappelle qu’au Puy-en-Velay, ce sont trois pompiers municipaux qui l’ont porté. A Bressuire, c’étaient d’autres avocats et leurs clients : « À Créteil, un jour d’alerte incendie, le palais de justice a été évacué et je me suis retrouvé seul avec la Procureure dans la Chambre du Conseil ! Je l’ai remercié pour son courage : si l’incendie avait été réel nous serions morts ensemble… »

Inaccessible pour les visiteurs, le Palais de justice de Créteil est toutefois accessible par ascenseur depuis le parking souterrain dont l’entrée est réservée au personnel et aux auxiliaires de justice. La voiture de Jean-François Blay y a sa place réservée, à proximité de l’ascenseur. Pour se rendre du Palais au Barreau de l’ordre des avocats, il doit parcourir un dédale souterrain et emprunter plusieurs ascenseurs. La présence dans les années 1980-90 d’un magistrat handicapé moteur a laissé quelques traces dans les étages, un élévateur fauteuil roulant desservant la salle d’audience dans laquelle ce juge officiait.

À bientôt 60 ans, Jean-François Blay est l’une des figures du barreau de Créteil, spécialisé dans le droit pénal, avec une clientèle fidèle : « Là, je vous parle de mes difficultés, c’est anti-professionnel ! Alors qu’on me reconnaît une certaine compétence et que je n’ai pas de mal à avoir des clients. Quand on est handicapé, il faut viser l’excellence. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2010.

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