Didier Roy est un personnage hors normes : tétraplégique, il travaille comme entraîneur de jeunes gymnastes, salarié d’un club sportif, l’ALCEA d’Antony (Hauts-de-Seine). Depuis ses débuts, il a abandonné les groupes de garçons pour n’entraîner que des fillettes et des adolescentes, « plus sérieuses et pas bagarreuses ». Il les forme à la poutre, au sol, aux barres asymétriques, au saut, etc. « Je n’encadre que les enfants qui ont au mois une année de gymnastique. Au club, on les accepte dès trois ans, pour ma part je les prend en dernière année Poussin. Ils ont déjà acquis de la motricité, de la technique : je leur fais découvrir les différentes parties de leur corps, leur demande de prendre des postures, effectue un travail de correction uniquement par la parole ».
Didier Roy ne peut en effet agir directement : « L’absence de contact est très dure pour moi. Mais je vois plus facilement les petits défauts en étant éloigné des gymnastes ». C’est par la voix que Didier Roy explique à ses élèves comment corriger leur posture, leurs gestes, ce qui les oblige à travailler par eux-mêmes, avec un avantage particulier : l’acquisition du bon geste, de la bonne posture, découle de l’appropriation de son corps par la gymnaste. « J’obtiens plus rapidement de bons résultats, même si au départ il faut mettre en place un cadre particulier de travail, ça fonctionne bien avec des enfants qui ont un potentiel. Je crée beaucoup de situations avec les enfants, par une relation basée sur la confiance et un important travail psychologique. Parfois, je reçois l’aide d’un collègue pour certains gestes, pour parer une gymnaste qui effectue un salto sur poutre par exemple. Je forme également des jeunes gymnastes à entraîner les autres, et elles m’aident durant les cours ».
Il a été encouragé à reprendre son métier d’entraîneur lorsqu’il a retrouvé « ses enfants » après son accident et sa rééducation : « Ils n’ont pas vu le fauteuil roulant, ils ont simplement retrouvé Didier ». Mais son employeur de l’époque, à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), était réticent. Un ami lui a proposé de travailler à Clichy (Hauts-de-Seine), ce que Didier Roy a fait bénévolement durant deux ans. Mais, ayant besoin de retrouver des revenus, un salaire, il a contacté des clubs de sport : la plupart ont refusé ne serait-ce que de l’entendre lorsqu’ils ont vu le fauteuil roulant. Jusqu’à ce qu’il rencontre à Antony des dirigeants qui lui ont donné sa chance.
« On était en juin 1991, j’ai fait un essai, ils m’ont proposé de rester. Mais tous les parents n’étaient pas d’accord, la moitié ont refusé, j’ai laissé les enfants choisir. Quand en 1993 le club a obtenu un titre de champion de France par équipes en Nationale 2, les parents réticents m’ont demandé de reprendre leurs enfants. Les parents voient les résultats, ils se parlent, ils évoquent la méthode de travail »
Depuis, chaque année l’ALCEA d’Antony envoie une équipe féminine aux championnats de France. « Quand j’accueille des nouveaux élèves, je leur explique ce qui m’est arrivé et ce qu’il faut faire pour l’éviter c’est un travail facile avec les enfants, dur avec les parents. Maintenant, la complicité avec les enfants faits que leurs parents ont confiance pour que l’on travaille ensemble ».
Pour arriver à cette étape de sa vie, Didier Roy a dû suivre un chemin particulièrement difficile, qu’il expose dans son second livre « Ne me parlez plus de courage », en cours de réédition chez A.B.M. Il y raconte son enfance maltraitée, ses placements à la DDASS, comment il s’est construit dans un milieu social difficile, échappant à la délinquance et la drogue par le sport. Cette envie d’écrire lui est venue après un premier livre consécutif à l’incendie de sa voiture, le 7 décembre 2001, le soir du Téléthon : « J’avais la rage, j’ai passé ma vie en revue en une nuit, dans une révolte qu’il fallait que j’exprime. Il s’appelait ‘ dois-je continuer?’. Dedans, il n’y avait que du négatif, c’était un défouloir. Je ne vivais plus, je voulais me flinguer, je suis allé voir un psy, pour parler, évacuer. Heureusement, mes amis et les parents des enfants que j’entraine ont été solidaires, ils m’ont aidé pour financer un nouveau véhicule, qui a coûté 92.000€ dont 68.000 € d’aménagements. Je n’ai eu à emprunter que 17.000€ ».
Un véhicule en fin de vie, que Didier Roy voudrait bien changer, mais il lui faut pour cela trouver 130.000€. Éloigné de son lieu de travail, sans transport spécialisé à un prix abordable, il est dépendant de l’automobile : « Le transport adapté quotidien me coûte plus cher que ce que me rapporte une journée de salaire, et leurs horaires ne correspondent pas aux miens ». Mais pourra-t-il acquérir une nouvelle voiture, alors que tous ses revenus passent dans son logement, ses aides humaines et une assurance automobile qui lui est facturée 6.000€ ? Pour simplement pouvoir manger et vivre un peu, Didier Roy a différé le paiement de quelques loyers et il redoute un placement en foyer logement avec horaires stricts et impossibilité de poursuivre son travail. Lui qui a fait le choix de vivre au service des autres aimerait bien que notre société lui rende le seul service qu’il lui demande : disposer des ressources nécessaires pour continuer à entraîner avec la passion qui l’anime des enfants auxquels il prouve tous les jours « qu’on n’a pas besoin de brûler des voitures pour montrer qu’on existe »…
Laurent Lejard, décembre 2007.