Qui n’a jamais vu la célèbre série télé « l’Homme qui valait 3 Milliards » ? Le héros Steve Austin a subi un terrible accident, son corps est démembré… Mais les techniques les plus pointues vont en faire un être nouveau. Mélange d’homme et de machine où des prothèses électroniques greffées suppléent les fonctions déficientes avec plus de fiabilité et d’efficacité, voici le cyborg, l’homme mieux que réparé. De quoi alimenter les fantasmes de tous ceux qui rêvent d’aller plus vite, plus haut, d’être plus forts.

Un projet européen. Des électrodes, des implants, des puces électroniques, des patients paraplégiques, c’est le projet « Stand Up And Walk » (« Lève- toi et marche »). Depuis plusieurs années, le professeur Rabischong (Centre Propara à Montpellier) coordonne des équipes médicales européennes associées à de grands groupes industriels avec un objectif audacieux : faire marcher à nouveau des hommes dont les jambes étaient jusqu’alors paralysées.

Le programme est défini de la façon suivante : on implante dans l’abdomen du sujet paraplégique un boîtier contenant une puce électronique reliée à des électrodes fixées sur les nerfs et les muscles qui permettent la marche. Un courant électrique génère des contractions musculaires capables de provoquer une locomotion artificielle. Pour se mouvoir, le patient utilise un déambulateur contenant le programmateur et, à l’aide de boutons, transmet des ordres simples : avancer, accélérer, ralentir, changer de direction.

En mars 2000, un premier patient était opéré en France et la presse couvrait largement l’événement. Des pages dans les journaux, des reportages à la télévision, le progrès était à la une et chacun de se réjouir de l’application des nouvelles technologies au service des personnes handicapées. L’impact de ce type de nouvelle sur le grand public est important : un jeune père de famille paralysé, « cloué » dans un fauteuil roulant à la suite d’un accident de voiture, fait ses premiers pas. Si ce n’est pas un miracle – les responsables du programme ont bien placé les limites dans les indications de ces interventions – c’est bien un signe positif et particulièrement symbolique qui est perçu.

On a remis un homme debout. Et s’il n’est pas prêt de rattraper une auto à la course comme Steve Austin, la science lui a permis de reprendre la noble attitude de son espèce. Bientôt il marchera la tête haute vers son destin. On en oublierait les troubles sensitifs, urinaires ou encore ceux de l’appareil génital, qui ne sont en rien résolus et qui minent la vie de tant de paraplégiques médullaires. De toutes façons pour le commun des mortels, la norme c’est la verticalité et le fauteuil roulant reste la marque de l’infirmité. La recherche est donc sur la bonne voie…

Épauler les personnes handicapées motrices.
 Pourtant si la vie quotidienne de nombreuses personnes handicapées s’est améliorée depuis vingt ans, ce n’est pas prioritairement grâce aux transferts de technologie vers la robotique et les machines à marcher. C’est du côté des fauteuils roulants qu’il faut regarder. De la première « Motorette » aux fauteuils roulants contemporains, la révolution électronique a démocratisé un moyen d’acquérir davantage d’indépendance pour des milliers de personnes handicapées. Ces progrès ont été l’occasion d’une réelle conquête de liberté. Liberté de se déplacer mais avant tout, liberté d’être, liberté d’agir. Assis, couchés même parfois, mais présents. Présents au stade, à l’université, à la sortie de l’école, dans la vie publique ou associative, là où les choses se passent et auxquelles il est légitime d’avoir envie de participer.

Celui ou celle qui manœuvre aujourd’hui le joystick de son fauteuil roulant électrique peut oublier la puce dans le boîtier de commande qui lui permet d’aller à sa guise. Ce qui compte, c’est que la technologie se soit mise au service de son autonomie. A propos de la première étape réalisée du programme SUAW, la presse a écrit « Un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour la technologie ». Toute la question est de savoir quelle unité de mesure est utilisée. Le petit pas de l’homme, c’est l’espoir chez quelques individus sélectionnés que rien n’est irréversible, que demain peut-être… ils se déplaceront debout. Le pas de géant de la technologie, c’est la concrétisation d’un projet de 1,5 millions d’Euros (près de 10 millions de FF) articulé sur l’idée que se font des savants dans des laboratoires aseptisés, de ce qui est bon pour les personnes handicapées. C’est aussi il ne faut pas le cacher, un épisode de la lutte féroce que se livrent les équipes de chercheurs en Europe, aux États Unis et au Japon.

Malheureusement les dés sont pipés car les enjeux sont trop différents, les protagonistes n’ayant pas les mêmes objectifs. Les uns voudraient marcher à tout prix, les autres vendent de l’illusion pour des sommes astronomiques dans un contexte de santé publique où chaque Franc est compté. Car il faut être clair. Il ne s’agit pas de « Lève- toi et marche » dans cette entreprise… C’est plutôt « Grâce aux techniques que je mets à ta disposition, tu dois pouvoir te tenir debout en équilibre instable, les mains tétanisées sur les poignées de tes cannes. Tu peux te déplacer de quelques dizaines de mètres sur terrain plat si tout va bien ». La ballade en forêt n’est pas pour demain.

Il va de soi que les nouvelles technologies sont et seront d’un inestimable secours pour améliorer la vie quotidienne des personnes handicapées. A une condition seulement. Qu’elles ne soient pas envisagées pour compenser des incapacités ex nihilo, mais qu’elles soient le prétexte à des aventures où des sujets démunis pourront assumer leur place au milieu des autres et affirmer : « Voilà qui je suis, différent, mais semblable à vous ! »

Pierre Brunelles, octobre 2000.

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