Depuis quelques semaines, un site Internet donne accès pour 1.300 Français ou Suisses francophones handicapés à près de 15.000 livres téléchargeables en formats texte ou sonore accessibles. « Nous avons eu l’idée de créer une bibliothèque commune pour répondre au besoin de mutualisation, éviter les duplications, faciliter les usages, explique Alex Bernier, chargé du dossier à l’association Braillenet. Nous avons recherché cette rationalisation au niveau francophone. On l’a lancé à trois partenaires, avec l’Association pour le Bien des Aveugles et malvoyants (ABA) et le Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes (GIAA), en espérant que d’autres organisations nous rejoignent. » Des discussions préliminaires sont en cours avec la Ligue Braille de Belgique, et en France avec Sésame, mais pas avec la Bibliothèque Numérique du Handicap (BNH) qui ne travaille pas dans le cadre de l’exception Droits d’auteur. Quant à l’Association Valentin Haüy (AVH), elle n’a pas répondu favorablement et veut manifestement faire cavalier seul : son Conseil d’Administration vient d’ailleurs de décider de quitter la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA) qui regroupe les associations nationales de personnes déficientes visuelles. Au-delà de ces aléas, dès sa fondation la Bibliothèque Numérique Francophone Accessible (BNFA) compte toutefois près de 15.000 titres, dont 6.000 au format Daisy lu par une voix humaine, 8.000 en Daisy lu par synthèse vocale, 9.000 en texte.

Pour la Suisse, c’est l’ABA qui a répondu favorablement, elle qui gère depuis 1992 la Bibliothèque Braille Romande et livre parlé (BBR), qui prête à ses abonnés des ouvrages en braille ou sonore expédiés en franchise postale. « En 2001, Braillenet a créé le serveur Hélène et nous y avons adhéré, explique Anne Pillet, responsable de la BBR. On y a déposé nos ouvrages, puis sur la Bibliothèque Hélène. C’est ce qui nous a conduit à continuer à travailler ensemble. Chaque institution dépose ses ouvrages et est responsable des adhésions qu’elle enregistre. » La BNFA est en effet l’évolution logique du premier serveur Hélène, sur lequel associations et professionnels trouvaient près de 2.000 ouvrages numériques adaptés grâce à l’accord de leurs éditeurs respectifs. La transposition en droit français le 1er août 2006 de la Directive Européenne sur les droits d’auteur a entrainé la transformation d’Hélène en bibliothèque ouverte aux personnes « empêchées de lire ». La loi a permis à des organismes agréés de s’affranchir de l’accord des éditeurs pour adapter leurs ouvrages diffusés dans un cadre non-marchand, ce qui a également légalisé certaines pratiques irrégulières.

Le droit suisse comporte également une exception au droit d’auteur en faveur des personnes handicapées, dans l’article 24c de la Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins, qui autorise la reproduction d’un livre sur un support adapté à des lecteurs handicapés empêchés de lire, sauf s’il existe déjà dans le commerce sous forme entièrement accessible. Une bibliothèque peut réaliser trois exemplaires adaptés d’un ouvrage sans acquitter de droits d’auteur, et en les payant pour chaque exemplaire supplémentaire. Néanmoins, les droits sont payés dès le premier exemplaire pour tous les ouvrages obtenus par téléchargement. Curiosité helvétique, la version française de cette loi restreint l’exception aux « personnes atteintes de déficiences sensorielles » alors que la version officielle allemande porte sur les personnes handicapées sans distinction.

« La BNFA va dans le sens du progrès, et nous on suit », clame Francis Perez, président de la bibliothèque numérique Sésame. Il espère que la plupart des 11.000 titres de sa bibliothèque pourront rejoindre le fonds de la BNFA dans les prochains mois. Pourtant, cette dynamique n’est pas accompagnée par les pouvoirs publics : le Centre National du Livre du ministère de la culture n’apporte aucun financement, même si le ministère soutient l’initiative. « Nous avons une visibilité financière sur trois ans, estime Alex Bernier. La BNFA représente un coût de fonctionnement de 50.000€ par an, et 150.000€ pour l’adaptation des ouvrages en texte ou voix humaine. Nous travaillons à l’automatisation de la numérisation. » Une tâche pour laquelle le mastodonte qu’est la Bibliothèque Nationale de France (BNF) aurait pu apporter compétences et moyens, mais sa politique de numérisation d’ouvrages ne repose pas sur la création d’ouvrages en formats accessibles aux lecteurs handicapés.

Après avoir consommé de l’argent public pour numériser plusieurs fois les mêmes livres dans des formats mal exploitables, la BNF vient de se faire épingler pour avoir confié à une société privé la numérisation de livres pourtant tombés dans le domaine public mais dont la lecture deviendra payante. Une politique anti-handicap et exception culturelle que la BNF, contrairement à ce qu’elle faisait en 2006, s’est refusée à expliquer en dépit de demandes réitérées…

Laurent Lejard, mars 2013.

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