Cela fait maintenant une vingtaine d’années que l’on parle d’enseignement à distance adapté aux personnes handicapées, et 10 ans que le développement du e-learning a été engagé. Pourtant, il n’existe toujours pas en France de plate-forme d’apprentissage à distance par les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui soit réellement adaptée aux spécificités de la déficience visuelle. De fait, la question a toujours été abordée sous l’angle technique (accessibilité de l’outil informatique, des systèmes de communication en ligne, de l’Internet); la pédagogie, la méthodologie et les particularités administratives n’ont jamais été prises en compte. Ce sont ces trois aspects qu’un projet européen en cours d’élaboration intègre dans la mise au point d’une plate-forme d’apprentissage à distance destinée aux formateurs : E-covip (E-learning COach for Visually Impaired People). Malgré son nom anglais, E-covip ne comporte qu’un seul partenaire britannique, le Royal National College for the Blind. La plate-forme est développée par l’allemand Berufsförderungswerk Düren. Les autres partenaires sont finlandaispolonaishollandais et français : la Fédération nationale pour l’insertion des personnes sourdes et des personnes aveugles en France (FISAF) traite spécifiquement la déficience visuelle, l’Institut Montéclair devant adapter la plate-forme aux besoins des sourds s’exprimant en langue des signes française ou en langage parlé complété.

La plate-forme doit être achevée fin 2008, toutefois la Fisaf vient d’organiser à Paris une présentation aux professionnels et à la presse de l’avancement de sa réalisation. Son président, Maurice Beccari, n’a pu que regretter le désintérêt suscité par cette présentation, peu de personnes ayant répondu à son invitation. Il a rappelé que l’Union Européenne avait massivement investi dans l’e-learning, alors que l’O.C.D.E pointe dans le même temps un trop grand intérêt pour la technique accompagnée d’un délaissement de la pédagogie. C’est sur ce constat que s’inscrit la volonté d’inclure dans E-covip les aspects habituellement négligés : pédagogique, méthodologique, administratif. « On ne pourra se pencher sur la formation des formateurs en e-learning que lorsque l’on connaîtra les besoins des usagers, constate la pédagogue Béatrice Souquet. L’outil informatique devrait être un facilitateur ». Elle rappelle que les déficients visuels ont été précurseurs en matière d’utilisation de l’informatique, alors qu’ils courent maintenant derrière l’évolution technologique : « Internet est une ruche incomparable de ressources, même si l’accessibilité est encore un problème, les sites ayant du mal à satisfaire aux critères des labels ». Béatrice Souquet estime que la collaboration à distance repose sur un partage des tâches entre le voyant et l’aveugle au moyen d’une pédagogie collaborative, basée sur un échange mutuel. Dans le même temps, elle constate que si l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication est important à l’école et à l’université, il est faible voire même inexistant dans la formation continue ou en entreprise, alors que l’enseignement à distance est particulièrement adapté à des adultes autonomes dans la gestion de leur processus d’apprentissage. Enfin, elle déplore qu’en France on en soit encore à s’interroger sur l’âge à partir duquel on peut mettre entre les mains d’un enfant un outil informatique tel que le bloc-notes braille, un sujet déjà réglé dans de nombreux pays : « L’informatique adaptée à un impact très important sur la construction du schéma cognitif chez l’enfant, ainsi que chez l’adulte devenu déficient visuel. L’outil informatique suppose méthode, organisation, agencement, préparation, stratégie, tactique, qui construisent le comportement du déficient visuel de demain face à l’acquisition du savoir et de la connaissance ».

Tout apparaît à construire en matière de pédagogie et méthodologie d’apprentissage à distance pour les déficients visuels, et Maurice Beccari remarque l’absence de retour d’expérience de l’usage des technologies de l’information et de la communication pourtant employées dans les universités depuis une dizaine d’années; ce travail est tout juste entamé par l’université Lyon 2. Il espère vivement que le projet E-covip saura éviter le travers techniciste, qui ne voit que l’accessibilité et oublie de traiter tous les éléments du processus adapté d’apprentissage à distance, et insiste sur l’écosystème que forment le formateur et l’apprenant. Et il donne à tous rendez-vous dans un an pour apprécier le produit final.

Laurent Lejard, décembre 2007.

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