A 55 ans, Bernadette Pilloy a pris le risque de créer son entreprise en s’installant comme écrivain public à Guyancourt (Yvelines) où elle réside. « J’ai l’air cinglée, je suis tout étonnée de ce que j’ai fait », raconte-t-elle après avoir reçu les Lauriers d’or de la création d’entreprise décernés le 26 janvier dernier par l’Agefiph. Elle est quasi-aveugle depuis ses 50 ans, et ce sont les progrès de l’informatique qui lui ont donné la possibilité d’écrire au service des autres. « Je suis connue dans les H.L.M des environs comme ‘Madame Bernadette’. Je traite toutes les demandes, alors que mes collègues sont spécialisés ». Elle rédige toutes sortes de textes : courriers à l’administration, discours de mariage, lettres d’amour, biographies, et met son imagination et son talent d’écrivain au service de ceux qui rencontrent des difficultés à s’exprimer par écrit.

Sa formation juridique et son goût pour la lecture lui permettent d’être très pertinente dans la présentation d’une requête, notamment en matière de séjour d’un étranger en France : « Le droit change souvent dans ce domaine, je me tiens informée de son évolution en recevant le Dictionnaire permanent du droit des étrangers, un investissement de 600€ par an… On ne devrait pas jouer comme ça avec la vie des gens; je fais en sorte qu’ils soient sûrs d’eux et du bien-fondé de leur demande ».

A sa manière, Bernadette Pilloy combat les abus de l’Administration, dont elle est une bonne observatrice : en 2003, 60% des personnes dont elle traitait la demande de régularisation obtenaient un résultat positif; elles n’étaient plus que 20% en 2005. « C’est l’action qui m’apporte le plus sur le plan humain ». Et sa rémunération consiste fréquemment en des bibelots, du mouton, une soupe, des fleurs…

Médaillée d’argent de la famille française, dont elle arbore la rosette rouge et verte, elle a élevé avec son mari six enfants, dont deux handicapés qu’ils ont adoptés.

« C’est un choix que l’on a fait avec mon mari ». L’un d’eux, Jean, est parti trop tôt, à l’âge de deux ans : « Il fait toujours partie de la vie, il n’y a pas de jour sans que je pense à lui. On milite pour l’adoption d’enfants handicapés, en s’occupant de ceux qui sont nés, de leurs parents naturels et des adoptants ». Dans le respect des choix de chacun et sans prêter l’oreille aux opposants à l’interruption volontaire de grossesse, ce combat réactionnaire n’est pas le sien. Bernadette et son mari font un choix, celui des enfants. Et si leurs enfants ont maintenant quitté le toit parental, la famille reste soudée et se retrouve régulièrement. Le foyer est ouvert à ceux qui en poussent la porte : « Les gens sont isolés, se réfugient dans le communautarisme. Il faut ouvrir nos maisons, nos coeurs : accueillons ! ».

La médiatisation des Lauriers Agefiph de la création d’entreprise a eu des effets positifs immédiats pour l’activité de Bernadette Pilloy: « A la suite d’un reportage diffusé sur T.F 1, on m’a commandé la rédaction deux biographies ! »

Elle tire de ses années d’activité et de générosité une philosophie personnelle : « Quand on est handicapé, le but est d’aider l’autre à se mettre debout. Quand on veut se battre, on arrive à travailler ».

Laurent Lejard, février 2006.

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