Luna Almaden vit seule, dans une ville de Belgique. Aveugle, elle aide quotidiennement sa mère et réalise des mobiles, sculptures composées d’éléments suspendus par des fils métalliques. Mais voilà que la mère de Luna est assassinée, étranglée au moyen de l’un des fils qu’utilise Luna…

Question : Quelle est la genèse de l’histoire, qu’est-ce qui vous a conduit à introduire une héroïne aveugle dans un thriller ?

Clarke : C’est plutôt le thriller qui a introduit l’héroïne aveugle, l’histoire ne pouvant fonctionner qu’en raison du handicap du personnage principal. De là a découlé le reste, tout naturellement : son mode de vie, ses relations avec sa famille, sa façon d’appréhender le monde extérieur…

Lapière : Et puis, disons-le, une fois ce principe (une héroïne aveugle) acquis et à partir du moment où nous bannissions les « narratifs » et autres procédés littéraires pour n’utiliser que le langage de la bande dessinée (les cases), il était intéressant de se confronter à la narration d’une histoire en images, avec le point de vue de quelqu’un qui ne les perçoit pas. C’était un paradoxe stimulant.

Question : Comment vous êtes-vous documenté sur la vie d’une jeune femme aveugle (déplacements, aménagement du logement, habitudes de vie) ?

Clarke : Sur Internet principalement. Beaucoup d’associations de parents d’enfants aveugles échangent des informations sur la vie quotidienne de leurs enfants. Et puis Denis et moi, ayant travaillé le scénario ensemble, avons énormément « mimé » les scènes, ce qui nous a permis de nous rendre compte qu’un geste pouvait être crédible ou justifié chez une personne voyante sans l’être chez une aveugle… Son univers par contre (l’appartement notamment) a dû être extrêmement « verrouillé ». Tout a été pensé, au niveau dessin, pour une aveugle et surtout pour que je ne fasse pas la moindre erreur dans un univers aussi balisé que le sien…

Lapière : Une chose, un détail, mais nous avons banni certains mots du vocabulaire de Luna, comme par exemple : « Je vois ce que tu veux dire ». Ecrit noir sur blanc, cela nous gênait. Pourtant, depuis, je sais que ceux qui ne voient pas, ou qui voient mal, utilisent tout de même ces expressions toutes faites du langage courant…

Question : Le regard de Luna est rare chez une aveugle : elle sait « poser » ce dernier sur quelqu’un qui lui parle, elle alterne yeux fermés ou ouverts. Pourquoi en avoir joué ?

Clarke : Nous n’avons pas forcément cherché à reproduire au plus exact le comportement et les regards d’une véritable aveugle : la bande dessinée est une succession d’images arrêtées qui ne se prêtent pas trop à ce genre de jeu trop codifié pour le commun des mortels. Ses regards, ici, servent l’action et les émotions qu’elle entretient vis-à-vis de son entourage, plutôt qu’une trop grande rigueur réaliste. Ceci dit, c’était tout de même très difficile à rendre puisque non conventionnel tout de même…

Lapière : Précisons que Luna n’est pas simplement aveugle, son handicap est aussi le reflet d’une autre cécité : elle ne voit pas les fêlures de sa propre famille, chez sa soeur et sa mère. Donc, bien entendu, Luna devait être une aveugle la plus crédible possible, mais n’oublions pas que cela est aussi métaphorique et que certaines de ses attitudes sont redevables de cela.

Question : Luna reviendra-t-elle dans une autre histoire ?

Clarke : Non. Il ne s’agit pas de décliner « les aventures à suivre d’une aveugle en milieu urbain » ni « Luna Almaden et le secret des Templiers » mais bien de suivre un personnage démuni au cours d’un épisode trouble de sa vie. Pas de raison de faire une suite, donc…

Lapière : La seule suite possible serait : « Luna se trompe dans le choix du papier peint » ! Pas trop excitant, hein ?

Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2005.


Luna Almaden, scénario de Lapière, dessins de Clarke, couleurs de Cerise, est paru chez Dupuis en avril 2005. En vente en librairie, 12,94 €.

Partagez !