Le 21 septembre 2004, le « tout déficient visuel et auditif » parisien s’entassait dans l’une des salles de L’Arlequin, l’un des cinémas indépendants de la Capitale, installé 76 rue de Rennes, dans le sixième arrondissement. On y projetait « Comme une image », tout nouveau film du tandem Jaoui- Bacri, en audiodescription par casque sans fil et sous- titrage sur écran séparé. La Municipalité était largement représentée par le Maire (qui fit un discours et partit très vite) son adjoint à la culture et celle en charge des personnes handicapées. Un mois plus tard, un second film français était à l’affiche dans les mêmes conditions, Un long dimanche de fiançailles (Jean- Pierre Jeunet)… Un troisième film, américain celui- là, sera présenté à partir du 23 février 2005. « L’opération est un véritable succès, constate Juliette Maynial, dirigeante du cinéma L’Arlequin. Pour chaque film, nous avons reçu 500 spectateurs déficients visuels, ce qui représente 10% des entrées pour le premier film et 7% pour le second ».

Ce qui était une expérience pilote devient un service qui semble pérennisé, une réussite en terme de fréquentation (en comptant les premières sur invitation, ce sont plus d’un millier de déficients visuels qui ont assisté à chaque film). Et en terme d’intégration : une famille, des amis vont ensemble voir le même programme, les valides avec leurs yeux et les déficients visuels grâce à la description. « Les spectateurs sont ravis d’aller au cinéma en famille, affirme Juliette Maynial, et nous n’avons eu aucun retour négatif de la part de la clientèle. Le public est curieux de découvrir le matériel et la technique, des voyants essaient l’audiodescription pour savoir ce que c’est. Ces projections ont un effet pédagogique, et elles rapprochent les gens ».

La Mission Cinéma de la Ville de Paris est l’initiateur et principal financeur de l’opération. Elle sélectionne des nouveaux films français lors de projections destinées à la presse et quand un choix est fait, tout doit aller très vite, le temps est compté et le processus complexe : obtention de l’accord du distributeur et du réalisateur, réalisation technique de l’audiodescription (30 jours de travail) et du sous- titrage, validation du résultat par le réalisateur et corrections éventuelles, tirage de la copie mise en exploitation. Encore faut-il que le film sélectionné par la Mission Cinéma intéresse l’exploitant des salles équipées. Pour l’exploitant, aucun frais supplémentaire, matériel et films sont fournis prêts à la diffusion.

Le coût de réalisation moyen, payé par la Ville de Paris, est de 7.500 € : rédaction du texte, interprétation par des comédiens audiodescripteurs et réalisation technique. Ville de Paris qui a dû payer deux fois l’audiodescription d’un même film, grâce à l’entrée en piste de l’Association Valentin Haüy, inventeur en France de l’Audiovision (marque déposée par l’A.V.H) mais qui n’a pas été retenue par la Mission Cinéma de Paris dans le cadre de la passation du marché. L’Association, qui ne diffuse de films que dans son réseau et uniquement sur cassettes V.H.S, avait audiodécrit un précédent film de Jean-Pierre Jeunet et a réalisé, parallèlement au prestataire de la Ville de Paris, Titra- Films, une audiodescription du film Un long dimanche de fiançailles : c’est cette version que Jeunet a retenu, et que l’A.V.H a facturé à la Mairie de Paris. Un budget spécifique permet de décrire cinq à six films par an.

Loin de ces bisbilles, le prochain long- métrage diffusé à partir du 23 février prochain à L’Arlequin raconte la vie d’un aveugle célèbre, Ray Charles. Là, c’est la Mutuelle Intégrance qui a décidé de financer la description de la version française d’un film américain. Cette action de mécénat pose un défi à L’Arlequin, dont la politique est de diffuser les films étrangers en version originale; le public viendra- t-il à la séance quotidienne de 14h (week- end inclus) consacrée à la version française audiodécrite? Son coût de réalisation est d’ailleurs plus élevé, à la fois du fait de la longueur du film et de l’intégration de l’audiodescription dans la bande son, un choix qui ne fait pas l’unanimité parmi les déficients visuels et qui est techniquement difficile à mettre en oeuvre. Ce souci de programmation devrait toutefois s’atténuer rapidement, puisqu’une deuxième salle parisienne devrait accueillir, dès le mois de mars, les spectateurs déficients visuels : Publicis Cinémas, sur les Champs- Élysées. Et en régions ?

Laurent Lejard, février 2005.

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