C’est lors d’une Fête de l’Internet que nous avons rencontré Stéphane Hagues pour la première fois. Une intelligence vive, un humour à fleur de lèvres, y compris sur lui- même, une vitesse de frappe (sans faute !) sur le clavier à faire pâlir un claviste, Stéphane Hagues surprend et charme à la fois. Ce presque quarantenaire a eu un parcours atypique. Il se destinait à l’enseignement de l’anglais; les refus répétés des établissements universitaires français de l’envoyer en stage aux Etats-Unis ou en Angleterre l’ont démotivé : s’il en a le niveau, il n’a pas passé l’Agrégation. La radio l’a alors tenté; il a suivi les cours d’une école d’animation radiophonique de Rueil-Malmaison (92)… mais aucune antenne ne voulait d’un animateur aveugle. De ce travail, Stéphane conserve le goût des soirées musicales privées dans lesquels il tient les platines comme disc-jockey ! Entre- temps, il est « entré en informatique », apprenant le DOS et le fonctionnement des ordinateurs; ses outils, les revues spécialisées et un ami, Didier Gras, également aveugle et créateur plus récemment de l’Annuaire Internet de la déficience visuelle. « Je pourrai monter un musée avec tous les logiciels pour aveugles que je possède, plaisante Stéphane Hagues. J’ai commencé avec un P.C sans disque dur, et suivi toutes les évolutions techniques. Le DOS me convenait bien. Quand Windows est arrivé, j’ai cru que son environnement graphique exclurait les aveugles mais des solutions techniques sont rapidement apparues. Aujourd’hui, avec le logiciel Jaws, on fait ce que l’on veut sur un ordinateur ».

L’irruption de l’Internet a conduit Stéphane Hagues à réaliser plusieurs sites pour des associations. Il en a depuis fait son métier: « Je travaille à temps plein pour Ceciaa. J’assure l’entretien du site web de cette société spécialisée dans l’informatique des déficients visuels, ainsi que le support client et la formation à l’utilisation de nombreux logiciels. J’aimerais travailler à la conception et la réalisation d’autres sites mais je reste lucide: pour être attrayant, un site Internet doit être graphique, utiliser l’image. Un aveugle ne peut pas espérer gérer cet aspect, il doit travailler au sein d’une équipe et apporter sa technique et son savoir- faire. Il y a de gros progrès à réaliser pour améliorer l’accès à Internet des déficients visuels: j’estime que les utilisateurs lambda de Jaws peuvent accéder sans difficulté à 50% des sites, ce pourcentage dépasse les 90% pour les internautes confirmés. L’accessibilité varie d’un site à l’autre, elle dépend à 80% de la conception des pages ».

Stéphane Hagues habite Rouen tout en travaillant à Paris. Chaque jour, il effectue l’aller- retour entre les deux villes: « J’ai fait ce choix pour la qualité de vie. J’ai une maison de plain- pied avec une grande terrasse ». Ce choix a un prix: deux heures de transport matin et soir. Mais Stéphane ne peut pas travailler à distance: « Le télétravail n’est pas dans l’air du temps dans mon entreprise comme dans la plupart des autres. On campe sur les traditions, en privilégiant le palpable: le salarié doit être dans son bureau, pas chez lui. On ne lui fait pas confiance: que pourrait- il bien faire durant son temps de travail ? »

Tout en espérant un changement rapide des mentalités, Stéphane Hagues poursuivra ses voyages incessants en affrontant les innombrables obstacles parsemés sur les trottoirs de nos rues. L’inaccessibilité qu’il côtoie chaque jour n’est pas seulement virtuelle…

Laurent Lejard, septembre 2003.

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