Gustave Courbet, né à Ornans, près de Besançon, en juin 1819, est décédé en décembre 1877 à La Tour-de-Peilz, non loin de Vevey en Suisse. Entre ces deux dates, une carrière atypique d’artiste épris de réalisme (style qu’il a créé), aux succès et aux échecs retentissants, objet de scandale(s), et très impliqué dans la vie politique de son temps. Trop selon certains, qui lui feront payer cher son engagement au côté des communards de 1871 : après la gloire, il connaîtra la prison puis l’exil. Peintre sulfureux de L’Origine du monde, auteur allégorique de L’Atelier du peintre, témoin réaliste d’Un enterrement à Ornans ou de L’Hallali du cerf, il laisse une oeuvre imposante qui émeut encore aujourd’hui et que s’arrachent les grands musées du monde… dont celui de Besançon, évidemment.

Gustave Courbet a donc vu le jour à Ornans, bourg paisiblement lové autour de sa rivière (la Loue, résurgence et affluent du Doubs), dans une famille de propriétaires terriens. C’est là qu’il fera ses premiers pas artistiques avant d’étudier les beaux-arts à Besançon, prélude à l’aventure parisienne. Parti pour la capitale en 1839, il revient à Ornans dix ans plus tard, trentenaire et déjà maître de son style. Un véritable retour aux sources qui nourrira l’ensemble de son oeuvre.

« Pour peindre un pays, explique-t-il, il faut le connaître. Moi je connais mon pays, je le peins. Ces sous-bois, c’est chez moi, cette rivière c’est la Loue, celle-ci le Lison; ces rochers, ce sont ceux d’Ornans et du Puits noir. Allez-y voir et vous reconnaîtrez tous mes tableaux ! »

La critique se scandalisera de ses paysans représentés crûment sur grand format, ou de ses baigneuses adipeuses aux pieds sales, mais le philosophe bisontin Proudhon, ami de Courbet (qui réalisera son portrait en 1865), célèbrera le « peintre socialiste », l’artiste républicain. Et c’est à un autre peintre, Robert Fernier (1895-1977), lointain parent de Courbet, que l’on doit la transformation en musée de sa maison natale. Une belle maison bourgeoise ouvrant sur la rivière, où sont conservées de nombreuses peintures et quelques sculptures de l’artiste dans une muséographie récemment revisitée qui a quadruplé la surface d’exposition par l’ajout de deux bâtiments contigus.

Une réussite architecturale ménageant l’ancien (boiseries, cheminées et parquets ont été conservés) tout en répondant aux attentes du public actuel, y compris en matière d’accessibilité, même si le stationnement réservé a été « exilé » sur le parking de la résidence d’en face (ascenseur). On regrettera par ailleurs que rien n’ait encore été prévu à destination des visiteurs déficients sensoriels.

Le parcours de visite s’organise de manière chronologique, replaçant Courbet et son oeuvre dans leur époque. Ornans et ses environs sont évidemment présents, mais également la Normandie, Paris et la Suisse, dernier exil du peintre, dont la dépouille n’a rejoint le cimetière d’Ornans qu’en 1919, soit plus de quarante ans après son décès. Petite curiosité : la date de naissance mentionnée sur la (très simple) pierre tombale est erronée…

C’est justement depuis l’entrée de ce cimetière que se comprend le célèbre tableau Un enterrement à Ornans, où seule la végétation a changé. Il en va presque de même pour Le pont de Nahin, au coeur du village, sauf que le point de vue du peintre est désormais situé dans une propriété privée. Autre point de vue préservé, plus en aval, celui du fameux Miroir d’Ornans, sur lequel se mirent maisons anciennes et frondaisons.

Ornans est pittoresque, au sens premier du terme, et la balade, au fil des vieilles rues, des plus agréables. Dommage que la voirie soit difficilement praticable en fauteuil roulant et que l’élégante passerelle piétonne sur la Loue débouche sur une volée de marches… Cette déambulation urbaine sur les traces de Courbet a fait l’objet d’une brochure « Parcours de vie » (dans la série « Les sentiers de Courbet ») très bien conçue, disponible gratuitement à l’Office de tourisme, au Musée et en téléchargement.

En sortant d’Ornans, la vallée de la Loue où Courbet trouvait l’inspiration a peu changé depuis l’époque du peintre, exception faite, assez paradoxalement, de la végétation qui s’est densifiée par endroits, conséquence inattendue (du moins aux yeux du néophyte) de l’abandon des pâtures et du recul de l’exploitation agricole. Ainsi en va-t-il notamment des falaises de calcaire dominant les gorges de la rivière : leur roche bleutée, bien visible sur les tableaux, se laisse difficilement deviner aujourd’hui. On peut découvrir un très vaste panorama de ce canyon depuis le belvédère du Moine, sur les hauteurs de Mouthier-Haute-Pierre, au prix d’un sentier un peu pentu mais accessible avec aide en fauteuil roulant (parking aisé à proximité immédiate).

À quelques kilomètres de là, du côté d’Ouhans, la spectaculaire source de la Loue, dont Courbet a réalisé une dizaine de tableaux, est en revanche difficilement accessible aux visiteurs à mobilité réduite, du fait de l’interdiction (sans dérogation possible) de pénétrer en voiture jusqu’au bas d’une très longue et pentue voie goudronnée. La quiétude des lieux, par ailleurs parfaitement aménagés, est sans doute à ce prix… Pour la petite histoire, cette source a été identifiée comme résurgence en août 1901, à la faveur d’un écoulement accidentel, dans le Doubs, d’absinthe en provenance de l’usine Pernod de Pontarlier : la Loue, en aval, se transforma alors en anisette géante !

Ces « sentiers de Courbet » (au nombre de quatre pour la version éditée, mais l’artiste en a très probablement arpenté des dizaines), la région en regorge et, que l’on soit ou non amateur de peinture, le prétexte est idéal pour (re)découvrir un terroir préservé où la notion de tourisme vert est bien davantage qu’un simple argument marketing.

Pour preuve, en guise d’apothéose pour ce parcours artistique, on peut dormir à la ferme de Flagey, propriété familiale des Courbet, réhabilitée en 2008, et qui offre, outre un espace d’expositions temporaires et un adorable « jardin de curé », la possibilité de faire de beaux rêves artistiques dans l’une des trois chambres d’hôtes (dont une accessible de plain-pied) aux thèmes inspirés de l’oeuvre du maître. L’accueil y est particulièrement attentionné : à 70€ la nuit, il serait dommage de s’en priver !

Jacques Vernes, mars 2012.


Sur le web, outre ces articles déjà publiés sur le Doubs en 2007 et 2009, on pourra utilement consulter le site officiel Doubs-travel, et sa partie Tourisme et handicaps.

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