Dans mes bras ! La compagnie gersoise (auscitaine, pour être exact) L’Attraction Celeste présentait, sous un petit chapiteau circulaire, une évocation à la fois clownesque, poétique et infiniment tendre de la dégénérescence, qu’elle soit due à l’âge ou au handicap. Servane Guittier et Antoine Manceau, acrobates et musiciens accomplis, n’ont pas leurs pareils pour amener, avec une grande subtilité, le spectateur du rire au bord des larmes : en quarante minutes à peine, le couple (qui l’est également dans la vie) fait des prodiges avec les limitations qu’il s’impose, et irradie littéralement de joie de vivre. La myopathie de leur fils a évidemment servi de facteur déclenchant mais, si le handicap est sous-jacent, il n’est pas tout à fait le thème principal : le corps, même limité, reste un corps; le rythme, même altéré, reste du rythme et on ressort du spectacle aussi émerveillé qu’un enfant. A voir absolument s’il passe près de chez vous !

Dans un genre totalement différent, mais avec une sensibilité égale, la compagnie marseillaise Peu Importe adaptait, sous le titre Buchenwald, concentrons-nous, un texte introuvable (« Le monde commence aujourd’hui ») du résistant aveugle Jacques Lusseyran (1924-1971). La mise en scène sobre et très évocatrice de Benoît Gontier sert d’écrin au travail remarquable de la comédienne Tamara Scott Blacud, capable d’incarner aussi bien le narrateur que son compagnon d’internement simple d’esprit. L’histoire, terrible, couvre la période, de janvier 1944 à avril 1945, au cours de laquelle l’auteur est déporté au camp de concentration de Buchenwald : l’ordinaire de la barbarie et, en filigrane, la grandeur de l’humanité et ce qui la maintient en vie. On pense à « La vie est belle » de Roberto Benigni. Bouleversant.

Beaucoup plus violent, L’enfant sans nom, est une (re)lecture du mythe d’Oedipe par l’auteur Eugène Durif, le metteur en scène Philippe Flahaut et sa compagnie millavoise Création Éphémère. Comédiens « différents » et valides donnent le meilleur d’eux-mêmes dans une mise en scène ultra-violente qui risque d’en rebuter plus d’un(e) et ne parler guère qu’aux amateurs de Pipo Delbono ou de Jan Fabre. Cela est d’autant plus dommage que le travail, très professionnel, de comédiens telle Florence Hugot a tendance à se perdre dans les hurlements, les gesticulations et la fumée. Mais peut-être notre époque a-t-elle besoin de ces spectacles sans concession ?

L’impossible mis en pièce, de Romain Frigoulet, était créé par le Théâtre de la Grange aux quatre vents, compagnie ariégeoise à laquelle on devait, en 2004, l’excellent « Psy cause toujours… je t’intéresse ». La promesse, hélas, n’est que trop bien tenue : comédiens handicapés jouant les utilités (un comble quand on songe que le propos de la pièce dénonce justement l’utilisation caricaturale des comédiens handicapés !), inutiles longueurs, mise en scène trop ténue, médiocre accessoirisation… On retiendra surtout le jeu, plus vrai que nature, de l’excellent Jean Cardonel (86 ans) en attendant que cette production « mûrisse »… ou que la compagnie revienne à un répertoire qui lui convienne davantage.

Côté jeune public, la compagnie toulousaine Rouges les Anges présentait Petit Monstre, merveilleuse adaptation en marionnettes du livre « Papa » de Philippe Corentin. Ou comment un petit garçon ordinaire en rencontre un autre qui ne l’est pas moins… malgré sa peau verte et sa crête ! Une fable sur la différence (toutes les différences) qui plaira aux enfants de 3 à 7 ans et qui tourne d’ores et déjà dans des salles de spectacle en Haute-Garonne.

Marionnettes encore, quoique plus basiques, avec l’histoire de Soundiata Keita, fondateur (handicapé) de l’empire du Mali, par la compagnie amiénoise Car à Pattes. De très beaux effets de lumière pour cette épopée fondatrice, et une riche évocation de l’Afrique éternelle dont on aurait aimé qu’elle soit dite par un « vrai » griot. Les enfants (à partir de 5 ans) comprendront-ils tout ? Il faudra le leur demander…

Marionnettes et comédiens (handicapés et valides) enfin, dans La mystérieuse étoile d’Adrien Lafeuille, conçue d’un bout à l’autre dans le cadre de l’Esat Cecilia 84 (Avignon). Une vocation artistique bien pourvue côté formateurs et matériels mais qui se heurte aux limites de l’exercice : belles marionnettes, jolis décors mais texte parfois verbeux oubliant qu’il s’adresse à des enfants, et surtout piètre direction d’acteurs dans les scènes où ils apparaissent. Reste que l’histoire des rois mages qui ont perdu leur étoile et du jardinier chargé de la retrouver est poétique à souhait. Dommage qu’elle ne soit pas aussi bien servie qu’on serait en droit de l’espérer d’un établissement qui veut qu’on le considère comme « un partenaire culturel à part entière »…

Jacques Vernes, septembre 2007

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