La rentrée scolaire a été difficile, parfois impossible pour des enfants et jeunes Alsaciens. La faute à la restructuration mal préparée de leur transport individuel par taxi du domicile vers l’établissement scolaire dont les familles n’ont été informées qu’à la mi-août par un courrier commun de la Collectivité Européenne d’Alsace [CEA : structure du mille-feuilles administratif réunissant les deux départements du Bas et Haut Rhin intercalée entre la Région, agglomérations, intercommunalités et les communes] et de la Maison Départementale des Personnes Handicapées. Il leur annonçait que la demande de transport de leurs enfants handicapés était acceptée ou renouvelée, et ce n’était qu’en lisant plus bas que les familles découvraient un important changement : à la prise en charge par taxi était substitué un transport assuré par les parents indemnisés 55 centimes du kilomètre parcouru ! Cela sans que les deux structures administratives se soient assurées de ce que ces parents possèdent une voiture et/ou soient disponibles pour effectuer les trajets. Avec comme résultat de multiples recours administratifs, le standard téléphonique de la MDPH bloqué par les usagers demandant des explications, une protestation dans la presse locale, un groupe d’information sur Facebook et même un petit-déjeuner citoyen devant le siège de la CEA.

En 2024, les transports par taxi couvraient 80% des 1.850 élèves bénéficiant d’une aide au transport scolaire pour un total de 13 millions d’euros. « Cette année, on a pris la décision de prendre en compte la gravité du handicap du jeune, justifie Karine Pagliarulo, 14e vice-présidente de la CEA, chargée des personnes handicapées. Le 1er niveau, c’est le remboursement d’abonnement transport en commun quand le taux de handicap est inférieur à 50% et jusqu’à 2 accompagnateurs. Le niveau 2 est l’aide individuelle pour les parents qui utilisent leur véhicule et dont les enfants sont handicapés à moins de 80%, même s’ils sont en classe Ulis. On peut accompagner son enfant, ça permet aux parents d’aller dans l’école parce qu’avec les taxis les enseignants disent qu’ils ne voient jamais les parents. Pour les plus de 80%, le transport par taxi est partagé lorsque la pathologie de l’enfant le permet, ou individuel lorsque la pathologie est lourde. »
Cette décision a été prise le 14 mars dernier par la Collectivité Européenne d’Alsace. Son assemblée d’élus a ainsi voté un nouveau règlement de transport des élèves handicapés qui lui incombe puisqu’elle cumule les compétences des départements : « Chaque bénéficiaire devra disposer d’une reconnaissance d’une situation de handicap par la MDPH justifiant que la gravité du handicap empêche d’utiliser les lignes régulières de transport scolaire […] Le mode de prise en charge est déterminé par le Président de la Collectivité Européenne d’Alsace, sur la base du dossier rempli par le ou les représentant(s) légal(aux) de l’élève ou par l’étudiant et sur la base de l’avis de la MDPH, en fonction des besoins de l’élève ou de l’étudiant et des solutions disponibles sur le trajet entre le domicile et l’établissement scolaire. » Quatre niveaux de prise en charge étaient définis : remboursement d’abonnements de transport en commun; aide individuelle au transport [indemnité kilométrique de 55 centimes]; mise en place d’un circuit de transport collectif; mise en place d’un circuit de transport individuel. L’ensemble sans précision sur les taux d’invalidité retenus, lourdeur du handicap, nombre d’enfants et jeunes concernés, budget alloué : les élus ont voté à l’aveugle.
Ce nouveau règlement contribuerait à l’émancipation des élèves, assure Karine Pagliarulo : « C’est dans la lignée de la loi de 2005 vers l’autonomisation des jeunes. J’ai rencontré des collégiens qui ne veulent pas continuer à être étiquetés handicapés parce qu’ils disent qu’ils sont ordinaires quand on les regarde. On souhaite vraiment que ces enfants différents puissent s’inscrire, avec leurs problématiques de santé, socialement dans leur vie géographique, dans leur ville, dans leur quartier, que leurs parents puissent les accompagner, emmener le petit frère la petite soeur, qu’ils ne soient pas dans des classes Ulis éloignées mais qu’on puisse vraiment travailler local. » Toutefois, sans le vouloir, Karine Pagliarulo confirme l’absence de concertation préalable à la modification du règlement de transport des élèves handicapés par le vote de la Collectivité : « On a informé les associations de handicap [sic]. Les parents ont vu l’information sur les nouvelles modalités quand ils ont dû inscrire leur enfant sur Internet. Il y a eu des webinaires, une foire aux questions. Mais force est de constater que le courrier [aux familles] était sans doute maladroit, il était écrit avis favorable mais les gens n’ont pas lu au-dessous. On a modifié le courrier, mais force est de constater que les familles ont fait peu de demandes de transport et, le 1er septembre, attendaient le taxi devant leur porte. Or on a décidé à l’unanimité du conseil [de la CEA] d’arrêter le taxi automatique pour tous. »
Pour quelle économie budgétaire ? Là, il aura fallu rappeler à la vice-présidente qu’elle gère de l’argent public et qu’elle doit la transparence aux citoyens sur l’économie budgétaire évaluée par la Collectivité :
- Karine Pagliarulo : Je ne sais pas si je dois communiquer l’estimation faite par nos services.
- Yanous : C’est de l’argent public, vous devez la communiquer, c’est la transparence, la démocratie et l’argent de vos concitoyens ?
- Karine Pagliarulo : Vous savez, il y avait aussi des habitudes des personnes, prendre un taxi 4 fois par jour et ce n’est possible que quand la situation médicale l’oblige. Il y en a 5 ou 6 sur l’Alsace, validée cette année. Ce devrait être de l’ordre de 2 millions, 1 million, 1,5 million qu’on devrait pouvoir ne pas dépenser. »
Laurent Lejard, septembre 2025.