Sonia Cardoner voulait acquérir un grand lit médicalisé pour sa fille infirme motrice cérébrale, Chloé, mais la décision de la Maison Départementale des Personnes Handicapées du Bas-Rhin est tombée, imprégnée de cette technocratie qui fait tout le charme de l’administration française : « Le lit médicalisé à l’achat est inscrit sur la Liste des Produits et Prestations Remboursables [LPPR] de la Sécurité Sociale sous le code 1235662. Le code 1235662 n’est repris dans aucun des trois arrêtés fixant les tarifs des éléments de la PCH (arrêtés du 28 décembre 2005, du 27 décembre 2007 et du 18 juillet 2008) que vous retrouverez en pièces jointes. » En effet, pour que la part de remboursement par la Sécurité Sociale d’une aide technique pour personne handicapée puisse être complétée par la Prestation de Compensation (PCH), il est nécessaire que ce matériel fasse l’objet d’un arrêté ministériel de tarification. Or, le dernier date de plus de 11 ans, les secrétaires d’État et ministres chargées des personnes handicapées qui se sont succédés ont laissé cette formalité en déshérence. Une situation qui « choque profondément » le sénateur Philippe Bas, qui avait conduit en 2005-2006 en tant que ministre chargé des personnes handicapées le chantier réglementaire de cette prestation : il garantissait alors qu’avec l’apport de la PCH, un fauteuil roulant motorisé verticalisateur à 25.000 euros serait intégralement financé. Ce n’est plus le cas.

Ce que confirme à sa manière la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA): « L’arrêté de tarification des éléments 2 à 5 de la PCH comprend deux listes, explique sa porte-parole. Une liste fermée pour les aides techniques par ailleurs inscrites à la LPPR, une liste ouverte pour les aides techniques non inscrites à la LPPR. La liste ouverte pour les aides techniques non inscrites à la LPPR permet de prendre en compte l’innovation. C’est le cas par exemple pour des aides techniques très innovantes comme les lunettes à reconnaissance de caractères ou encore le dispositif mobile permettant de reconnaitre et signaler des bruits par des flash lumineux. » Ces matériels non pris en charge par la Sécurité Sociale peuvent l’être par la PCH dans la limite de 3.960€, montant plafond inchangé depuis la création de la prestation en 2006.

« S’agissant des aides techniques par ailleurs inscrites à la LPPR, poursuit la porte-parole de la CNSA, le référentiel pour l’accès à la PCH (Annexe 2-5 du Code de l’action sociale et des familles) indique que ‘lorsqu’il existe une liste nominative de produits dans la liste des produits et prestations remboursables, seuls les produits figurant dans cette liste sont pris en charge. Les produits écartés de la liste des produits et prestations remboursables ne peuvent faire l’objet d’une prise en charge au titre de la prestation de compensation. » Le lit de Chloé Cardoner n’y figure pas, l’achat de son lit médicalisé laissera à sa charge près de 1.500€ déduction faite du remboursement Sécurité Sociale. « Quand mes deux autres filles ont grandi, raconte sa mère, Sonia, je leur ai acheté un grand lit. Je voulais faire pareil pour Chloé. Un grand lit médicalisé coûte 2.500€, mais la LPPR rembourse sur la base du lit 1 place, soit un forfait de 1.030€ : la personne handicapée n’a pas le droit à une vie active. » En clair, la Sécurité Sociale et la PCH n’aideront pas Chloé à avoir une vie affective et sexuelle. Et pas davantage le Fonds départemental de compensation du handicap du Bas-Rhin, l’un de ceux qui fonctionnent encore. « La MDPH ne fait pas intervenir dans ce cas le fonds départemental de compensation, poursuit Sonia Cardoner. Pourquoi ne pas enclencher automatiquement le fonds départemental en cas d’absence d’arrêté de tarification ?. Il ne faut pas qu’il y ait cet enfermement pour vivre à domicile, et répondre aux besoins de la personne. » Curieusement, si le Bas-Rhin n’active pas ce fonds dans ce cas, le département de Paris le fait, disparités territoriales obligent.

Combien de personnes ont-elles reçu de leur MDPH ces dernières années des refus de prise en charge ? Impossible de le savoir : la CNSA ne dispose pas de remontées d’information sur ce sujet. De même, elle ne peut fournir de chiffres sur le montant total de PCH aides techniques attribuée aux demandeurs ce qui empêche de mesurer l’évolution au fil des ans. L’un des chiffres dont elle dispose montre bien une progression d’une centaine d’euros entre 2013 et 2018 du montant moyen alloué aux aides techniques, passé de 773€ à 884€, mais cela ne traduit qu’une augmentation des sommes octroyées. Si on connaissait les montants accordés au fil des ans pour la France entière au titre de la PCH aides techniques, on disposerait d’un indicateur mettant en évidence l’évolution des paiements et l’impact de l’absence d’arrêtés de tarification.

Associations dans l’ignorance

On n’obtient pas davantage d’information en interrogeant les associations nationales. « Selon nos remontées de terrain, explique le président de l’Association Nationale Pour l’Intégration des personnes Handicapées Moteurs (ANPIHM), Vincent Assante, hormis la prise en charge de la sécurité sociale et de la mutuelle, lorsque la personne en a une, nos adhérents n’obtiennent pas d’autres prises en charge complémentaire lors de l’acquisition de matériels inscrits sur la LPPR. Et surtout pas via la PCH, ce en raison de l’absence de la parution du décret, pourtant prévue par la loi de 2005, permettant à la personne de ne pas supporter plus de 10% de reste à charge. Déjà condamné à deux reprises par le Conseil d’État pour non publication du décret, le Gouvernement ne semble toujours pas disposé à honorer la volonté du législateur de 2005. » Pas davantage d’éléments précis au Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques (GIHP), mais une information essentielle : « Cette question revient régulièrement au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), révèle son directeur, Stéphane Lenoir. Mais on n’a pas réalisé de travail d’évaluation au sein de notre réseau. » Réponse identique du président de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), Édouard Ferrero : « Concernant les aides techniques, on n’a pas de remontées particulières, toutefois reste la question du délai de réponse et de traitement des dossiers. Compte tenu des tarifs pratiqués, les niveaux des financements ne sont pas suffisants. »

Si l’AFM-Téléthon s’était intéressée en 2011 aux coût et prise en charge des aides techniques, elle a depuis déserté le terrain revendicatif et se défausse aujourd’hui du sujet sur l’APF France Handicap. Association qui oppose une fin de non recevoir : « On ne vous répond pas », confirme Malika Boubekeur, Conseiller national compensation et autonomie. Visiblement, ses direction et présidence n’ont pas apprécié que notre magazine révèle que l’APF France Handicap avait, en janvier 2018, accepté le principe d’un quota de logements neufs accessibles, validé la suppression de la gratuité sans formalité du stationnement automobile payant, et que soit évoquée l’exclusion de l’une de ses (très rares) militantes activistes, Odile Maurin. Une association qui voudrait empêcher un magazine d’informer, comme le pratiquent par exemple le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France Insoumise, le Rassemblement National de Marine Le Pen ou le mouvement d’extrême-droite de sa nièce, Marion Maréchal…

Sur le terrain, on n’obtient pas davantage d’éléments mais pour d’autres raisons : « On n’a pas de remontée de nos adhérents sur ce point, concède Sonia Lavenir, représentante départementale de l’APF de Haute-Garonne. Mais on constate des refus de droits ou des droits insuffisants. On a fait remonter pas mal de soucis à Malika Boubekeur, au siège national, dans le cadre de la préparation de la Conférence Nationale du Handicap. » Dans le Nord, dont la MDPH est l’une de celles qui traitent le plus de dossiers, la représentante de l’APF France Handicap au sein de la CDAPH, Lahanissa Madi, est circonspecte : « Je ne trouve pas d’aides techniques refusées mais il se peut qu’il reste une somme à charge, même après intervention du fonds de compensation. » En Isère, l’assistant social de la délégation APF, qui est très heureux de partir à la retraite, se lâche : « En règle générale, les dossiers aboutissent. On arrivait toujours à trouver des solutions mais tout se restreint. Et le nouveau dossier de demande est impossible à remplir seul. » Il met ici en cause le formulaire de 20 pages de demande auprès de la MDPH, en précisant qu’il avait repris de nombreux dossiers remplis sans ses conseils et qui n’aboutissaient pas. Malheureusement, cet assistant social ne sera pas remplacé : « L’APF ferme le service social, la direction nationale dit qu’aider les demandeurs c’est la responsabilité des pouvoirs publics », conclut-il.

« Les travaux préparatoires à la CNH portent, entre autres chantiers, sur la PCH, conclut la porte-parole de la CNSA. La PCH aides techniques fait partie des sujets sur lesquels des évolutions seront envisagées en termes d’articulation entre la LPPR et la liste PCH. » Il serait grand temps, après 11 ans de laxisme de la tutelle d’État, que des personnes handicapées cessent de recevoir des refus de financement un an après avoir monté un dossier aussi volumineux qu’inutile…

Un sénateur engagé dans ce dossier

Auteur d’un rapport récent sur le financement de l’accompagnement des personnes handicapées, le sénateur Philippe Mouiller (Les Républicains) déplore une situation qu’il attribue à une dilution des responsabilités entre l’Etat et les départements qui paient la PCH.

Question : 
Comment appréciez-vous la situation actuelle de la PCH qui ne couvre plus les aides techniques faute d’arrêtés ministériels de tarification depuis plus de 11 ans ?

Philippe Mouiller : 
Cette situation est anormale et n’est plus tenable. Je pense d’ailleurs que c’est un point de vue partagé par le Gouvernement puisqu’il vient d’enclencher des groupes de travail sur la PCH au sens plus général, et plus particulièrement concernant les aides techniques. Dans mon rapport sur le financement du handicap, j’ai fait le même constat que vous. Première urgence, il faut que la liste des produits remboursables et les montants de remboursement Sécurité Sociale soit revue. La liste date de 2006, des aides techniques n’y figurent pas alors qu’elles sont opérationnelles, parce qu’en 2006 certaines aides techniques n’existaient pas, je pense à des outils compensant des troubles de la vue par exemple. Je sais que le Gouvernement a mandaté le docteur Philippe Denormandie sur ces questions, et j’ose espérer qu’en 2020 nous aurons une nouvelle nomenclature qui devrait corriger un certain nombre de dysfonctionnements. Le deuxième sujet, c’est la PCH qui est dans une phase de remise à plat totale, avec deux difficultés : d’abord la complexité du débat sur qui finance quoi, puis le niveau des montants financés par la PCH. Là, c’est un débat global des relations entre l’Etat et les départements dans une période ou le premier commence à évoquer dans la loi de finances une remise à plat complète du financement des seconds. On est dans une négociation des relations financières Etat-Départements, d’où découlent le financement de l’aide sociale, du handicap et notamment de la PCH. Sans compter les mesures de simplification telles que la relation entre l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé et la PCH, le reste à charge qui peut sembler élevé. Et s’ajoute un texte sur lequel je travaille, la prise en charge des matériels d’occasion. Actuellement, il n’y a pas de remboursement Sécurité Sociale. Pour les aides techniques, ce remboursement pourrait être envisagé, elles coûteraient moins cher à la Sécurité Sociale et réduiraient les reste à charge importants.

Question : 
Pourtant le projet de loi sur l’économie circulaire en cours d’examen au Parlement ne comporte aucune disposition sur les aides techniques d’occasion…

Philippe Mouiller :
 J’avais déposé des amendements sur ce texte que j’ai retirés à la demande du Gouvernement parce qu’il le prévoit dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. C’est une première avancée, incomplète, elle ne va pas aussi loin que je le voudrais. Et il y a un dernier point dans mon rapport, le problème des achats. Des aides techniques coûtent horriblement cher en France et parfois trois fois moins dans un autre pays européen, parce que les prix sont calqués sur les niveaux de remboursement Sécurité Sociale. L’achat groupé d’aides techniques est un vrai sujet, des départements, des territoires ont lancé des initiatives. Il doit y avoir des discussions entre les fabricants, les revendeurs et les organismes qui remboursent [une disposition semblable figure dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2020 NDLR].

Question : 
On a quand même le sentiment, sur ce sujet comme pour d’autres dans le champ du handicap, qu’il est urgent de réfléchir longtemps avant d’agir et de renvoyer le dossier à plus tard, alors qu’il serait si simple de rappeler à la ministre en charge du handicap de bien vouloir signer des arrêtés de tarification sans attendre une réforme qui pourrait prendre des années !

Philippe Mouiller : 
Je pense que sur les chantiers que je viens d’évoquer cela sera plus rapide. La pression est forte. Et à la différence de ce qui s’est passé pendant des années, on a un Gouvernement qui a envie de faire bouger les choses. En même temps, on est plusieurs parlementaires mobilisés avec des dépôts de texte, ça change clairement la donne. Après, c’est un problème de financement sur lequel il y a urgence de bouger. Le champ du handicap est par définition dans tous les domaines extrêmement compliqué : tout le monde finance tout. Les aides techniques par la Sécurité Sociale et la PCH. Les transports, c’est le département pour les scolaires, l’Assurance Maladie pour les rendez-vous médicaux, les établissements médico-sociaux sur leur dotation. Les établissements ont des cofinancements. Il y a un problème d’organisation d’efficience parce qu’on est sur des cofinancements permanents, et à chaque fois qu’on veut corriger, il faut que tout le monde se mette d’accord ce qui est extrêmement complexe. Sans parler des disparités de richesse des départements qui renvoient un problème d’équité territoriale. Moi, j’ai proposé que les aides techniques soient financées en totalité par l’Etat, et que les transports des personnes handicapées soient à 100% territorialisés.

Question : 
Dans ce contexte de carence, on voit se multiplier les actions de solidarité privée, les associations de circonstance, les cagnottes web. Quel est votre point de vue sur cette solidarité privée qui vient se substituer aux carences de la solidarité nationale ?

Philippe Mouiller : 
A chaque fois qu’on constate un dysfonctionnement, un souci de financement, ce sont des situations critiques et la mobilisation se produit. C’est malheureusement assez classique, et on voit l’urgence d’une réforme de fond de la PCH. Je fais partie d’une formation politique qui a créé la PCH, sur la proposition de Jacques Chirac qu’on vient d’enterrer aujourd’hui… Le débat sur la solidarité nationale ne concerne pas que le handicap, il est plus global. On a un dysfonctionnement national pour lequel, si on ne trouve pas de solution, on ira dans le mur. Le principe général qui fait que c’est l’Etat qui décide des aides et des moyens consacrés à la Solidarité Nationale dans tous les domaines et que ce sont les départements qui financent alors qu’ils ne sont pas décisionnaires crée des dysfonctionnements. On ne permet pas aux départements qui sont des contributeurs de faire de l’organisation, de la planification et de l’efficience. Le handicap nécessite une mobilisation nationale, il n’y a pas d’ambigüité, mais pour pouvoir le faire, il faut surtout qu’on se donne les moyens d’une bonne organisation et d’une simplification du système.

Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2019.

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