L’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) sera-t-elle prochainement l’unique organisateur et financeur en matière de formation et d’accès à l’emploi des travailleurs handicapés dans le secteur privé ? C’est l’impression qui émerge des derniers transferts de compétences envisagés par le Gouvernement via le projet de loi de finances pour 2011 : son article 97 prévoit de transférer à l’Agefiph la gestion de la déclaration d’emploi des travailleurs handicapés et du dispositif de la reconnaissance de la lourdeur du handicap, l’octroi et le paiement de la prime de fin de stage en Centre de Réadaptation Professionnelle, le financement et la mise en oeuvre des parcours de formation professionnelle.

Si ces dispositions sont validées par le Parlement, l’Agefiph sera à la fois financeur, juge et partie : une association de droit privé décidera souverainement et sans garantie de traitement équitable d’accorder son aide à tel ou tel travailleur handicapé, sur des critères décidés par son Conseil d’Administration et dans la limite de son budget. Parce qu’en transférant certaines compétences, l’État externalise la pénurie et en fera porter les conséquences politiques et publiques à l’Agefiph, dont le Conseil d’Administration tripartite réunit à parité pouvoirs publics, syndicats de salariés ou d’employeurs et associations de personnes handicapées.

Certes, ce n’est pas la première fois que l’Agefiph sert de banque au Gouvernement. Les anciens qui ont de la mémoire se souviennent d’une tentative de ponction de 1,5 milliards de francs (près de 230 millions d’euros) à la fin des années 1990 des réserves financières de l’Agefiph pour combler le déficit de l’assurance chômage. Face aux protestations, le Gouvernement avait seulement imposé à l’Agefiph de prêter à l’Unedic 750 millions de francs (environ 115 millions d’euros). Depuis, plusieurs transferts de charges ont été réalisés sur fond de protestations formelles des syndicats et associations de personnes handicapées, sans influer sur cette constante : l’Agefiph est réputée riche et l’Etat en mal de ressources budgétaires n’avait qu’à puiser dans le « magot ».

Tanguy du Chéné, alors président de l’Agefiph, ne le percevait pas autrement quand il écrivait il y a tout justedeux ans : « L’insertion professionnelle et l’emploi des personnes handicapées sont des compétences de l’Etat qui relèvent du financement de la solidarité nationale […] Or, voilà que pour boucler son budget en 2009, l’État a décidé unilatéralement et sans concertation de ponctionner de 50 millions d’euros les ressources du Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans le secteur privé, [aucune] formation supplémentaire ne résultera de cette affectation, puisqu’il s’agit d’une substitution pure et simple, sans aucune valeur ajoutée, contrairement à l’action de l’Agefiph conduite depuis trois ans en la matière ».

Deux ans après, un détournement similaire se prépare, en transférant à l’Agefiph le financement des stages organisés par l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (APFA), l’Agefiph devant se substituer à l’État comme co-contractant. Financièrement, cela représente 60 millions d’euros sur deux ans. L’État fera l’économie de 150 agents (équivalent temps-plein) chargés de contrôler les déclarations d’emploi et d’instruire les demandes d’abattement sur salaire au titre de la lourdeur du handicap, deux prérogatives transférées à l’Agefiph qui devra recruter ou sous-traiter au secteur privé. « L’Agefiph n’est plus maitre de son action, relève Thierry Nouvel, Directeur Général de l’Unapei. Le resserrement des missions peut poser problème, ce n’est pas sain. J’espère que toute l’action en direction des travailleurs handicapés ne sera pas transférée à l’Agefiph ».

Mais derrière les déclarations officielles, certains professionnels de l’insertion ne sont pas tendres, traitant l’Agefiph « d’arroseur arrosé », rappelant que cette association s’était appropriée la moitié des 14 millions d’euros versés par son équivalent du secteur public, le Fonds d’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (F.I.P.H.F.P), au réseau des Cap Emploi. L’un de ces professionnels rappelle en outre que l’Agefiph a refusé d’augmenter la dotation financière des Cap Emploi qui étaient confrontés, durant la crise économique de 2009, à un afflux de chômeurs handicapés, préférant faire affaire avec des sociétés privées à but lucratif. Et de souligner que l’Agefiph a arrêté, mi 2010, un plan de soutien à l’emploi très dispendieux, basé sur des primes à l’embauche rappelant les années 1990 durant lesquelles certaines entreprises s’étaient spécialisées dans l’emploi « jetable » de travailleurs handicapés : la prime de 30.000 francs d’alors (4.547€) était acquise au terme du 6e mois, période durant laquelle le travailleur handicapé était licencié pour en embaucher un autre !

Dans ce contexte houleux, la réaction officielle de l’Agefiph est toute technocratique : « Le Conseil d’administration, qui n’a été informé complètement que depuis quelques jours des transferts de charges inscrits au projet de loi des finances 2011, déplore une nouvelle fois que des charges nouvelles soient imposées à l’Agefiph sans aucune concertation préalable, ce qui met en difficulté la construction du budget 2011. Il s’est réuni en séance extraordinaire lundi 4 octobre 2010 et a entamé un travail de réflexion sur la portée de ces décisions. A l’issue de cette réflexion il déterminera les dispositions à adopter ». Une déclaration laconique qui entérine de facto le nouveau rôle que l’État veut confier à l’Agefiph dans une approche libérale à l’anglaise, celui d’une Administration privatisée omnipotente en matière d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés dans le secteur privé. 

Laurent Lejard, octobre 2010.

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